La Justice (et notamment la matière pénale) a toujours fasciné les citoyens, tous pouvant amener à y siéger sur le banc des prévenus, des victimes ou des jurés. On ne compte plus d’ailleurs les séries judiciaires sur le quotidien de ce service public régalien par excellence.
Pourtant, le droit semble souvent inaccessible au profane. Il y a tout un cérémonial à connaître et des règles à saisir et à articuler entre elles (le traité européen prime sur la loi ; la loi spéciale prime sur la loi générale ; etc…). Toutefois, le droit est l’instrument de la vie en société. Toute société ne peut tenir que parce que ses membres ont accepté des règles communes qui s’appliquent à tous.
Pour autant, encore faut-il que les règles soient accessibles et lisibles au plus grand nombre. Avec la logorrhée normative du Législateur, les normes se multiplient, s’alourdissent. On peine à retrouver l’élan originel de synthèse des premiers codes.
En parallèle, notre société se judiciarise, multipliant les recours et les actions. S’il faut saluer le développement de nouvelles branches du droit (droit de la consommation, droit de la santé), on assiste en parallèle à la multiplication des incompréhensions avec la médiatisation de certaines décisions.
Dans un souci de toucher le plus grand nombre, plusieurs professionnels du droit se sont emparés des opportunités d’internet pour parler de leur quotidien, de leurs affaires et pour offrir une réponse plus nuancée à l’actualité parfois très tranchée. Parmi ces précurseurs, deux passages obligés : Maître Eolas et Maître Mô. Je pense qu’on peut difficilement trouver un seul étudiant en droit à la fin des années 2000 et dans les années 2010 qui ignorent leurs existences. Ils ont accompagné le cursus universitaire de nombre d’entre nous. A ces blogs fameux, se sont ajoutés des interviens régulières sur les réseaux sociaux avec l’arrivée de Twitter (Twitter dont les communautés droit et santé représentent parfois 50% des interactions).
Si les avocats bénéficient d’une presque totale liberté de parole, il n’en va pas de même pour d’autres corps de métiers du droit, compte tenu de leur lien de rattachement avec l’Etat (le fameux « devoir de réserve des fonctionnaires »). On trouve ainsi sur Twitter plusieurs magistrats (procureur ou juge) qui grâce à leur anonymat distillent remarques, analyses et récits (et notamment Sir Yes Sir).
Toute cette longue introduction pour arriver à ces deux ouvrages que je recommande : Le livre de Maître Mô par l’intéressé lui-même et Dans les yeux du procureur – Chronique de la justice ordinaire de Sir Yes Sir.
Ces deux ouvrages se ressemblent beaucoup. On y retrouve des tranches de la vie ordinaire mâtinées de droit et saupoudrées d’humanité. Le récit est toujours clair, le lecteur étant toujours accompagné. On traverse des crimes, des agressions, des viols… Le pire de ce qui est possible, mais la part d’humanité reste toujours intacte (dans la résilience des uns, dans la contrition des autres, dans un geste ou une attention qui permet de sortir la tête de l’eau et de continuer à avancer). On rappelle à chaque fois comme la vie est fragile, que tout peut basculer. On est saisi (parfois au prix de quelques larmes) par les parcours chaotiques de certains protagonistes, laissés complétement à l’écart, abandonnés à leur sort. Car au fond, nous ne sommes qu’humains, avec nos passions et nos faiblesses, nos forces et nos peurs. On y trouve les mêmes ingrédients et surtout la même vision. Deux passionnés par leur métier, deux professionnels profondément humains. Une même force traverse ces récits : la vitalité
Ces deux ouvrages sont complémentaires, offrant deux profils différents (un avocat d’un côté, un procureur de l’autre) à travers un même objectif : mettre en lumière la justice ordinaire, ses erreurs comme ses réussites, ses compromis comme ses capitulations.
Le tour de force de ces livres est de rendre la justice et le droit plus humains, moins glorieux peut-être mais plus proche des préoccupations de chacun.
Voir les autres épisodes de la série Regards croisés :
¤ Regards croisés sur Le lambeau / Réparer les vivants
¤ Regards croisés Germinal/Les raisins de la colère : la révolte qui gronde