Regards croisés : Une saga moscovite et La huitième vie

Comment concilier l’Histoire des nations avec le récit de la vie des individus ? Comment aborder au détour du roman les grands événements avec les aléas de la vie ?

C’est ce tour de force que réussissent deux romans à ranger dans la littérature slave : Une saga moscovite de Vassili Axionov et La huitième vie de Nino Haratischwili.

Dans chaque livre, nous suivons la vie d’une famille sur plusieurs générations (russe d’un côté, géorgienne de l’autre) à travers les péripéties de l’Etat (guerres, révolutions, purges, …). Il est vrai que le XXe siècle avec la chute de l’Empire tsariste (1917), la naissance de l’URSS (1922) et sa dissolution (1991) a offert les pages les plus marquantes (sanglantes ?) à la Russie et à la Géorgie. Mise à part l’Angleterre au XVIIe, la France post-révolutionnaire ou l’ex-Yougoslavie au XXe siècle , rarement autant d’événements n’auront été concentrés sur un aussi court laps de temps.

Dans ce maelstrom et ces bouleversements inédits sur plusieurs décennies, les membres de ces 2 familles (les Gradov d’un côté et les Jaschi de l’autre) vont devoir faire des choix et tâcher d’avancer, tout en essayant d’échapper à la folie meurtrière de ce siècle. On s’attache rapidement à cette galerie de personnages, dont le sort est souvent loin d’être enviable mais dont la résilience impressionne en permanence. L’acmé de ces récits constitue la période stalinienne (1925-1953) qui permet de couvrir la fin de la NEP, les grandes purges, la 2e guerre mondiale et les derniers coups d’éclat du « petit père des peuples ».

C’est d’ailleurs l’une des principales différences entre ces deux récits puisque si dans Une saga moscovite, l’auteur prend le parti de se focaliser sur cette période, dans La huitième vie, Nino aborde une période bien plus large, des premiers élans de la Géorgie indépendante à la guerre russo-géorgienne de 2008. Trente ans d’un côté contre un siècle de l’autre.

Autre différence notable : si Vassili évoque la vie et le destin d’une famille moscovite (c’est le titre du livre), Nino a choisi d’axer l’histoire sur une famille géorgienne. Cela tient bien évidemment à la nationalité des auteurs respectifs. Le choix ici de porter l’attention sur une autre nationalité apporte un éclairage intéressant et permet d’offrir un autre angle sur une histoire qui aurait pu ressembler à une redite. L’origine géorgienne de la famille apporte aussi 2 autres éléments intéressants. Tout d’abord, elle renforce le lien avec deux des plus grands bourreaux/bouchers de l’URSS (Joseph Staline et Lavrenti Beria, tous deux ayant la particularité d’être géorgiens). Cette origine est l’occasion de rencontres avec ces deux protagonistes, rencontres qu’il aurait été plus difficile de justifier sinon. Ensuite, les liens entre la Géorgie et la Russie (et de manière plus générale, la perception de la Russie envers son étranger proche) indiqués dans le livre permettent de mieux comprendre les enjeux de cette région du Caucase, surtout avec l’actualité (Invasion de la Russie en Ukraine)

Qu’importe ces petites différences, si vous aimez l’histoire et les brins de vie, et les interférences que provoquent la première sur les seconds, et parfois les seconds sur la première, je vous recommande chaudement ces deux lectures.

Voir les autres épisodes Regards croisés :
¤ Regards croisés Germinal/Les raisins de la colère : la révolte qui gronde
¤ Regards croisés sur Le lambeau / Réparer les vivants

Sur la Russie/l’URSS, voir aussi
¤ 2 billets politiques : Vladimir Poutine ou l’attrait de l’autoritarisme / La Russie, un partenaire pour l’Union ?
¤ 2 billets littéraires Retour de l’URSS d’André Gide : l’analyse clairvoyante d’un intellectuel / La fin de l’homme rouge ou le désespoir de l’homo sovieticus

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