Le succès tant critique que public de Borgen (série danoise sur les dessous de la politique du pays scandinave) avait posé les premiers jalons de la « série politique moderne ». C’est bien le triomphe de la saison 1 d’House of Cards qui arrêta les canons du genre (voir House of cards, Baron Noir, Borgen et Veep : quatre déclinaison de la politique dans les séries). Cette série bénéficia d’une médiatisation particulière propulsée par son producteur, Netflix alors en quête de respectabilité.
C’est peu dire que lorsque Canal + avait annoncé une déclinaison française, avec pour tête d’affiche Kad Merad, j’avais été circonspect. C’était avant de connaître Le Bureau des Légendes, avant de découvrir la série à proprement parler.
Clairement, la saison 1 de Baron Noir n’avait pas à rougir de la comparaison avec son aînée américaine. Tout en s’inspirant à plusieurs égards de House of Cards, Baron Noir arrivait à tracer une route qui lui était propre. Si la série américaine avait permis d’éclairer sur le fonctionnement de la démocratie parlementaire outre-atlantique (rôle du whip, fonction du vice-président, etc…), la série française offrait une plongée rafraîchissante dans les coulisses du pouvoir, et surtout dans les batailles politiques. Elle mettait en lumière ces affrontements d’ego et de motions qui sont souvent cachés au public : l’arrières boutique des partis. Le spectateur devenait une petite souris qui se glissait partout, à même de saisir les querelles intestines de la gauche, les ambitions des uns et des autres, les trahisons et alliances de circonstance.
Et quel plaisir de constater, après avoir fini de visionner la Saison 3 de Baron Noir, que la dernière saison dépasse encore les standards établis par les deux premiers volets. Exit certaines facilités qui n’avaient jamais vraiment convaincu (la relation amoureuse entre Amélie Dorandeu et Philippe Rickwaert). Place à une trame quasiment constamment en écho avec notre actualité, dans laquelle l’Europe d’ailleurs n’est jamais bien loin. Comme dans notre monde, le populisme est partout. Si ce dernier revêt différentes formes, il articule toute la vie politique. On se plaît évidemment aussi à reconnaître parmi la galerie de personnages leurs doubles réels. Mention toute particulière à l’interprète qui joue Michel Vidal, pastiche de Jean-Luc Mélenchon. On découvre aussi un sosie de Pepe Grillo, fondateur du Mouvement 5 Etoiles, dont le bilan sur le plan politique en Italie est assez famélique (voir La politique italienne : entre alliance baroque et comédie burlesque), ainsi que les tiraillements d’un Rassemblement national plus vrai que nature autour du Frexit (voir Démission de Florian Philippot : la faute à l’Europe ?).
Là où la série excelle aussi, c’est dans son art de glisser des mises en garde. Et notamment, une qui irrigue tout le récit : à trop vouloir jouer avec le feu, on finit par se brûler. Chacun ici pense ou feint de croire qu’il est le meilleur barrage contre le nouveau populisme qui vient. Mais, comme le dit fort justement Michel Vidal, « lorsque le brun et le rouge s’associent, il ne reste toujours que le brun », et la plupart finiront emportés par la vague.
Cette lutte à mort pour la Fonction Suprême ne sera pas sans conséquence. Ceux qui se sacrifient politiquement pour que d’autres puissent arriver à la victoire n’ont pas le droit au salut, juste à disparaître de la carte. Rayer au fond du jeu politique qui envahit tout l’écran. La politique a toujours été violente. Mais, voilà qu’à la violence symbolique a succédé la violence physique contre les élus et la représentation. Une bouffée de violence qui se dirige alors pour abattre le dernier garde-fou : la démocratie. Et si la série nous offre un sursaut de circonstance (l’union de la gauche d’abord, un front républicain ensuite), pas sûr que la réalité nous accorde ce joli moment de concorde.
Par son prisme européen (ici un projet de France-Allemagne), la série pose une jolie interrogation. Alors que ce plan d’union entre les deux moteurs de l’Europe fuite par hasard, suscitant l’ire des politiciens et l’indignation des citoyens, on peut apprécier le petit miracle qui eut lieu en 1950 lorsque Robert Schuman, Jean Monnet et quelques autres concoctèrent dans la confidence un plan au sortir de la guerre pour unir définitivement les Européens. Il est clair qu’à notre époque, un tel plan aurait certainement été voué aux gémonies, sans même s’interroger sur son opportunité et sa faisabilité.
Tout juste, pourra-t-on regretter une dernière pirouette à l’avant-dernier épisode, pirouette certes utile pour arriver à la fin souhaitée par les scénaristes. Si ce retournement ne manquera pas de susciter l’intérêt de nos constitutionnalistes les plus émérites, il reste juridiquement bancal. Comme une petite torsion à la crédibilité que la série avait jusque-là su conserver.
Mais, force est de constater que la série française n’emprunte pas certains travers de son homologue anglo-saxonne, travers qui ont durablement plombé l’intrigue (rebondissements de situation, abus illimités du pouvoir, …).
Là où House of Cards s’était terminé dans l’anonymat le plus complet (et sans aucun scénario), on ne peut que souhaiter que Baron Noir poursuive sa route actuelle et finisse en beauté. Il en prend clairement le chemin aujourd’hui.
Sur les séries sur la politique, voir House of cards, Baron Noir, Borgen et Veep : quatre déclinaison de la politique dans les séries et Brain Dead ou le néant de la politique