(Le Greco)
Jamais vraiment en lumière, toujours traité en filigrane sur ce blog, le départ de Mario Draghi après huit ans de la tête de la Banque centrale européenne (BCE) est le moment idéal pour parler de celui qui savait murmurer à l’oreille des marchés financiers.
Si sa désignation à la tête de l’institution de Francfort avait fait jaser à l’époque, notamment compte tenu de son ancien passé à Goldman Sachs et de supposées orientations progermaniques, force est de constater qu’il part auréolé de nombreux succès (voir La nationalité des dirigeants européens est-elle un bon critère ?). On lui doit notamment une réussite, et non des moindres, celle d’avoir clairement mis sur la carte financière la place de la BCE, à un rang presque égal à la Fed, sa consoeur américaine. Surtout, dans une Europe qui manque cruellement d’incarnation et d’unicité de ses décisions, il y a eu un « Monsieur euro » clairement identifié. Ainsi, depuis son fameux «whatever it takes » de 2012, les marchés financiers écoutaient avec la plus vive attention les communiqués de la BCE, délaissant les comptes rendus souvent insipides de la Commission ou du Conseil européen. Force est de constater qu’à plusieurs reprises, par quelques phrases bien placées, il a su calmer la tempête, et inverser la tendance. Personne ne veut jouer dans une Banque centrale qui est prête à utiliser le « bazooka monétaire ». Les marchés financiers ont depuis confiance comme jamais dans la parole de la Banque centrale européenne (voir Crise de 2008 : quel bilan 10 ans après ? (2/2)). Comme le relevait Benoît Coeuré, membre du Directoire de la BCE, « la Banque centrale européenne prospère dans le vide politique ».
Il faut aussi mettre à son actif sa lutte contre le risque de déflation en 2014/2015 qui risquait d’emporter l’ensemble de la zone euro dans une spirale négative. Il suffit de voir les difficultés continues du Japon pour sortir du bourbier de la déflation entamée il y a plus de 20 ans pour voir la gravité du danger évité.
Certes, il est encore trop tôt pour tirer un bilan complet et définitif. En effet, certains impacts des politiques et instruments mis en place par la Banque centrale européenne ne s’apprécieront que sur le moyen terme. A titre d’exemple, Alan Greenspan, ancien Président de la Fed était parti sous les louanges, avant que la survenue d’une crise financière quelques années plus tard ne relativise ses interventions ; son action (ou plutôt inaction) ayant créé les germes de cette crise.
On sait déjà que l’action de Mario Draghi a conduit à de nombreux conflits avec l’Allemagne et des pays du Nord, compte tenu des effets négatifs sur l’épargne de leurs ressortissants. On ne compte plus les démissions avec perte et fracas de membres de la BCE qui ne partageaient pas les orientations de sa politique. A plusieurs reprises, on n’est pas passé loin d’un conflit de souveraineté entre la Cour constitutionnelle allemande et la Cour de justice de l’Union européenne sur la légalité des actes de la BCE. L’immixtion d’un contrôle juridique national dans la politique économique européenne aurait pu être désastreuse, en privant de tout effet les paroles de Mario Draghi.
L’héritage de Mario Draghi, tant au niveau de l’actif que du passif, sera certainement lourd à porter. Il appartient à Christine Lagarde de savoir s’inscrire dans les pas de son prédécesseur, tout en arrivant à réconcilier les Européens autour d’une politique monétaire unique (voir Christine Lagarde future présidente de la BCE, une bonne idée ?). Néanmoins, comme l’a répété souvent Mario Draghi, une bonne part du travail pour préserver la zone euro ne dépend pas de la BCE, mais de ses Etats membres qui doivent s’engager toujours plus loin vers l’intégration et l’approfondissement de leur espace monétaire commun, en mettant notamment en place des instruments de soutien tel qu’un véritable budget.
Sinon, la prochaine fois, le remède du docteur risque d’être insuffisant pour éviter que les maux récurrents de cette zone n’emportent l’euro.
Pour reprendre le titre d’un livre de Jean Quatremer, il est temps d’achever l’euro…
Voir aussi Christine Lagarde future présidente de la BCE, une bonne idée ? et La nationalité des dirigeants européens est-elle un bon critère ?