« Il y a eu de nouveaux rebondissements sur le Brexit, tu comptes en parler ?
– Même pas en rêve.
– Non, mais tu as vu, les Britanniques et les Européens ont enfin trouvé un accord.
– C’était déjà le cas il y a deux ans ! On ne m’y reprendra plus ! (voir Brexit ou l’illusion du mouvement)
– Cette fois, ce sera différent. Boris Johnson soutient l’accord.
– Ce sera comme toujours. On se félicite tous ensemble d’avoir trouvé un compromis, on se jure de respecter le délai avant de tout envoyer par-dessus bord une fois que le Parlement britannique n’arrive pas à adopter l’accord. D’ailleurs, qu’en dit le berceau de la démocratie parlementaire ?
– Il reporte sa décision.
– Ah ! Voilà. Moi aussi, je vais reporter mon commentaire. C’est pas comme si le Brexit avait lieu dans dix jours ! C’est quoi son excuse cette fois ?
– Il veut se laisser le temps d’examiner le texte.
– Foutaises ! Ca fait trois ans que les options sont connues et qu’elles n’ont pas changé. L’éternité ne suffirait pas pour que ce Parlement trouve une majorité sur l’une des solutions. Entre le DUP (Parti nord-irlandais) qui ne veut pas d’un régime particulier pour l’Irlande du Nord, le SNP (Parti Ecossais) qui veut que ce statut soit appliqué à l’Ecosse, le Labour qui ne rêve que de torpiller les projets des Conservateurs, les Lib-Dem qui veulent rester dans l’Union européenne et les Conservateurs dont on n’est même pas certain qu’ils veulent vraiment un accord, aucune majorité ne peut exister.
– Peut-être que le couperet du 31 octobre va finir par les engager.
– Mis à part un pistolet sur la tempe, je ne vois pas ce qui peut modifier leur attitude. Et encore, je suis certain que si on les menaçait, ils préféreraient se faire hara-kiri. Foutus Britanniques !
– S’ils voulaient montrer que le système majoritaire, c’est la tyrannie de l’incompétence, ils ne s’y prendraient pas autrement.
– Tu te crois malin à plagier Tocqueville ? Va réviser tes classiques plutôt. Mais avant, l’accord suspendu portait sur quoi cette fois ?
– Un nouvel accord sur le divorce.
– Donc, seulement sur le plus simple. La séparation. Toujours pas d’accord sur la relation future, qui conditionne pourtant beaucoup le bon déroulé du divorce.
– Non, mais il y a une déclaration politique annexée.
– Encore ! Et je suppute qu’elle se contente de grands principes, dans lesquels notamment le Royaume-Uni s’engage à ne pas procéder à un dumping fiscal, social ou réglementaire.
– Oui, exactement ! C’est une belle victoire.
– Les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Et tu me permettras de douter des bonnes intentions à venir des Britanniques quand le programme de son Premier ministre consiste justement à prendre exemple sur Singapour, paradis fiscal insulaire. Et sur le divorce proprement dit, quoi de neuf ?
– Je croyais que tu ne voulais pas en parler.
– Je souhaite juste m’assurer que tu as suivi.
– De ce que j’ai compris, plus de backstop, mais finalement des contrôles vers l’Irlande du Nord réalisés au Royaume-Uni, et des histoires de TVA et autres déclarations.
– Des changements sporadiques en somme. Le pire, c’est que même en cas de validation par les Parlements respectifs, il n’est pas dit qu’un tel schéma soit validé par la Cour de justice (voir Brexit : un accord en sursis ?). Un beau bordel en perspective, si tu veux mon avis.
– Ben justement…
– Non, je ne donnerai pas mon avis. Dire qu’il y a deux ans, Martin Selmayr tweetait une photo avec la fumée blanche sortant d’une cheminée. Habemus contractus, pouvait-on croire. Quelle connerie.
– Martin Selmayr ? Le Martin Selmayr ?
– Ne t’égare pas, on parlera de lui une autre fois.
– On va parler alors du Brexit ?
– Non ! Plus un mot là-dessus.
– Il paraît que Boris Johnson va solliciter à nouveau le Parlement.
– Suffit ! Pense à ramener du pop corn la prochaine fois que je puisse apprécier à sa juste valeur ce spectacle permanent… »
[Suite ici : Brexit : vous en reprendrez bien une part ?]
Voir Brexit : un horizon inatteignable ? et Annulation de la suspension, retour du Parlement : le Brexit en perdition ?
Voir aussi sur une prose plus imagée : Le Brexit n’aura pas lieu