La controverse a donc une nouvelle fois été résolue par la Cour suprême. Trois ans après avoir du examiner le rôle du Parlement britannique dans le processus du Brexit, revoilà les onze juges de cette juridiction encore jeune, conduits sous les feux des projecteurs (voir Le particularisme anglais à l’épreuve du Brexit).
Il faut dire que l’incapacité des acteurs politiques à se saisir véritablement du sujet amplifie ce besoin de recourir à la Justice pour trancher les différends politiques. Ici, la Cour suprême britannique a considéré que la suspension du Parlement britannique décidée par Boris Johnson était nulle et non-avenue. Le speaker de la Chambre des communes pouvait donc reconvoquer l’assemblée. Et c’est dans une ambiance tout sauf bonne enfant que la Chambre s’est réunie et divisée sur la place publique devant les caméras d’un monde entier ébahi devant l’incurie britannique. Chaque jour qui passe au Royaume-Uni, le pathétique semble se disputer un peu plus au grotesque (voir Brexit : lassitude généralisée). Il ne manquerait plus que dans tout ça, les députés écossais fassent sécession et on aurait atteint , je crois, le point culminant d’années d’hystérie.
En attendant de découvrir avec effarement, joie ou peine les prochains rebondissements et renversements du Brexit – qui rappelons-le doit avoir lieu dans un mois ! -, revenons quelque peu sur cette décision logique sur le fond, mais aux ramifications encore insoupçonnées.
La décision de la Cour suprême était attendue par tous les constitutionnalistes de par le monde. En effet, le droit britannique repose principalement sur la coutume orale, le précédent. Avec l’arrivée récente d’une Cour suprême, ce droit tend à se « codifier » , passant de dispositions orales à des principes écrits.
Cette décision n’est en soi pas surprenante. Elle s’inscrit pleinement dans la lignée du verdict rendu en janvier 2017. Hier comme aujourd’hui, le Parlement britannique, seul détenteur de la souveraineté, doit pouvoir se prononcer sur le Brexit. Or, en suspendant sans véritables raisons le pouvoir législatif, Boris Johnson allait entraver l’exercice des prérogatives du Parlement. D’où, l’annulation pure et simple (c’est-à-dire la suppression de l’acte non seulement au moment de la décision, mais aussi depuis son édiction) de la suspension.
A côté de cette première conséquence évidente, certaines questions demeurent.
Sur le plan constitutionnel, d’abord. En effet, la suspension du Parlement est ordonnée par la Reine, qui ne fait pour le coup que suivre ce que propose le Premier ministre. Néanmoins, suite à cette décision, faudra-t-il désormais un contrôle de la légalité, voire de l’opportunité d’une suspension du Parlement ? Ici, la Cour suprême a été aidée par le fait que Boris Johnson semblait ne pas se soucier de se justifier, tout en ayant provoqué une suspension sur un temps relativement long. Quid devant des motifs alambiqués ou une suspension courte ? Faut-il alors imaginer une saisine a priori de la juridiction en urgence pour se prononcer sur la possibilité de la suspension ?
Sur le processus du Brexit, ensuite. Le Parlement s’est réuni dès le vendredi. Mais, dans quel but et avec quelle perspective ? Boris Johnson ne semble plus du tout avoir de majorité. Cependant, existe-t-il une majorité sur un sujet relatif au Brexit ? Le doute est permis. A quoi bon débattre encore et encore ? Qu’importe que Boris Johnson se résigne à solliciter ou non une prolongation, il est temps pour les Européens de dire stop. Qui veut vraiment revivre six mois de psychodrame ? Comme je l’avais écrit il y a plus de trois ans sur le Brexit, dans certaines relations, le divorce est la moins mauvaise des solutions (voir Brexit : une bonne chose pour l’Europe ?).
Voir aussi Faire le Brexit sans le Parlement britannique : le pari de Boris Johnson, un déni démocratique ? et, sur un ton plus humoristique, Le Brexit n’aura pas lieu