Couple franco-allemand : divorce à l’italienne ?

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Lors d’une réunion-débat en 2009, l’ancien directeur de cabinet de Jacques Delors, Pascal Lamy qualifiait l’Allemagne de « pragmatique et nombriliste » et la France de « volontariste et narcissique », soulignant alors que « lorsque le couple franco-allemand combine pragmatisme et volontarisme, ça marche ; lorsqu’il combine nombrilisme et narcissisme, rien ne peut fonctionner ». Difficile de trouver meilleur résumé des atouts et des tares de chacun des deux membres clés de la construction européenne.

Clairement, l’Union européenne d’aujourd’hui ne serait pas si avancée, si aboutie sans l’action conjointe de la France et l’Allemagne.

Inutile de rappeler à quel point ces deux Etats furent les acteurs décisifs du lancement d’une organisation supranationale en Europe. On se souvient évidemment du discours de Robert Schuman de 1950 alors ministre des Affaires étrangères, déclaration écrite en concertation avec l’Allemagne afin que celle-ci soit indissociable du projet. En effet, il s’agissait d’éviter à tout prix une nouvelle guerre fratricide entre Européens (voir L’Europe, est-ce la paix ?).

En plus de cet élan initial, ces deux Etats, de par leur population et leur poids économique respectifs, constituaient dans l’Europe des 6 balbutiante – le Royaume-Uni ayant certainement manqué une opportunité décisive de peser sur l’essence du projet -,  les acteurs incontournables. Ils ont été à l’initiative des nombreuses avancées, mais aussi des blocages de l’Europe. On pense logiquement à la crise de la chaise vide en 1965 de Charles de Gaulle. On peut penser aussi au rôle joué par l’Allemagne dans la crise de la zone euro. Narcissisme de la France. Nombrilisme de l’Allemagne. Tout est dit.

Longtemps, ces deux Etats ont toutefois cherché à avancer de concert. Outre ce rôle historique, ils alliaient des atouts complémentaires. A l’Allemagne, la puissance économique. A la France, la puissance politique. Derrière ce découpage un brin simpliste, il faut noter que malgré les périodes de crise temporaires de la France, l’Europe pouvait avancer grâce à l’Allemagne qui avait à cœur de s’inscrire résolument dans l’Europe. On peut noter évidemment à leur actif l’aboutissement du marché intérieur, la nomination de Jacques Delors ou la concrétisation de l’euro.

Et les autres Etats alors ? Mis à part le Royaume-Uni qui a toujours tenté de construire une troisième voie, la plupart des membres de l’Union européenne ont souvent apprécié les avancées permises par ce duo pas comme les autres. Il faut d’ailleurs se garder de voir dans ce couple un binôme qui régirait le fonctionnement de l’Union européenne. Comme le souligne Daniel Cohn-Bendit,« Avec l’Europe des Vingt-sept, un simple accord franco-allemand ne fait pas le printemps. Mais sans cet accord, il n’y aura jamais de printemps. »

Pourquoi alors le couple bat de l’aile ? Parce que le rapport de force a été bouleversé avec la chute du Mur. D’une part, l’Europe avait changé et notamment son centre tendait vers l’Est. Et c’est l’Allemagne qui a su le mieux tirer son épingle du jeu. D’autre part, alors que la France s’enfonçait dans des divisions internes sur l’Europe avec le Traité de 2005, l’Allemagne avait au moins le mérite d’avoir une position claire sur l’Europe. Position de rejet en ce qui concerne la mutualisation des dettes souveraines, mais position quand même. Si Angela Merkel fut le visage de l’Europe, c’est avant tout par défaut. Par défaut notamment de la France engoncée des considérations stériles. Angela Merkel a quand même eu le temps de côtoyer 4 Présidents français (de Chirac en 2005 à Macron en 2019) [voir Années Merkel : la raison allemande]

Or, depuis quelques temps, le couple franco-allemand apparaît en déphasage inversé. Le volontarisme européen revendiqué par l’actuel Président de la République bouscule une chancelière allemande affaiblie politiquement et sans grande vision européenne. On s’est aperçu à plusieurs reprises que la France s’agaçait des tergiversations allemandes. Cette attitude certes compréhensible du point de vue français oblitère les difficultés longtemps posées par la France à l’Allemagne. Il y a tout juste sept ans François Hollande se faisait quand même élire avec une proposition appelant à renégocier un traité européen.

Néanmoins, ces difficultés actuelles ne doivent pas être surestimées, tant elles sont en réalité la marque du couple franco-allemand. Hormis quelques périodes de grâce (Adenaeuer/de Gaulle au départ, Giscard d’Estaing/Schmidt, Kohl/Mitterrand au milieu), la plupart des binômes ont mis du temps à se trouver. Et quoi de plus normal après tout alors que leurs agendas politiques ne sont pas forcément compatibles.

Toutefois, avec la polycrise que traverse l’Union européenne, le couple franco-allemand doit retrouver une vision pragmatique à même de relancer la construction européenne. Sortir du nombrilisme des uns. Et du narcissisme des autres. Peine perdue ?–

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