Dans cette campagne européenne bien atone, il existe peu de motifs pour se réjouir. Pire, l’une des principales avancées des élections européennes précédentes, le « Spitzenkandidaten », paraît clairement menacée. C’était déjà dans l’air du temps en 2018 (voir Spitzenkandidaten : bal tragicomique à Bruxelles), cela se confirme en 2019
Avant de revenir sur le possible recul de cette progression démocratique, un petit rappel s’impose.
Dès 2014, s’appuyant sur les modifications permises par le Traité de Lisbonne (voir Traité de Lisbonne : quel bilan 10 ans après ?) le Parlement européen – tout bord politique proeuropéen confondu – a réussi à imposer au Conseil européen le principe suivant : la personne désignée tête de liste d’un parti européen (« spitzenkandidaten ») serait désignée à la tête de la Commission dès lors que son parti arriverait en tête lors de ces élections. Jusqu’alors, le Conseil européen avait la main dans ce processus. Le système des Spitzenkandidaten constituait un progrès dans la vie démocratique, tout en renforçant considérablement le rôle du Parlement européen (voir Elections européennes 2019 : à quoi sert le Parlement européen ?)
Cette immixtion du Parlement européen en amont en 2014 a toutefois provoqué quelques remous parmi les chefs d’Etat et de gouvernement, notamment chez un certain David Cameron qui a tenté de faire barrage, comme jadis Tony Blair, au candidat présenté devant le Conseil européen. Néanmoins, les modalités de vote ayant évolué au sein du Conseil européen, il ne fallait plus qu’une « majorité qualifiée ». Résultat ? 1 voix contre, 27 voix pour. « Humiliation » avait titré la presse britannique le lendemain. Ce n’est guère un hasard si un an plus tard, David Cameron proposera un référendum sur la sortie de l’UE.
Or, aujourd’hui, cet « acquis » a été contesté par le Conseil européen. Ce bras de fer institutionnel a d’ailleurs causé une victime collatérale avec le rejet par le Parlement européen du projet de listes transnationales portées par Emmanuel Macron (voir Elections européennes : 2019, c’est maintenant). En effet, un tel système risquerait de bouleverser la victoire annoncée du PPE (et donc par ricochet, la désignation comme Président de la Commission d’un membre de leur parti). On peut aisément considérer que le candidat figurant en tête de liste sur une liste transnationale qui serait arrivée en tête aurait la primeur pour accéder à la Présidence de la Commission.
Surtout que compte tenu du bilan plutôt désastreux de l’actuel Président de la Commission européenne, le nouveau processus de désignation est loin d’avoir l’opinion pour lui. Dans l’opinion publique, faire un classement entre Jean-Claude Juncker et José Manuel Barroso s’apparentera à un casse-tête (voir Jean-Claude Juncker ou le verre à moitié vide/L’affaire Barroso : retour sur un immense gâchis ). Difficile aussi de voir émerger de véritables têtes d’affiche tant que les Etats détiendront un rôle déterminant dans leur désignation.
Ce recul du principe de « Spitzenkandidaten » se ressent tout particulièrement à l’occasion du débat en France sur les élections européennes 2019. Il y a 5 ans, Martin Schulz, alors tête de liste désignée par le PSE, avait été pressenti pour représenter le Parti socialiste lors du débat. Seule l’opposition catégorique de Marine Le Pen avait mis fin à l’idée. Ici, personne ne semble avoir envisagé de recourir à un tel procédé.
Il faut dire que les têtes de liste actuelles (Frans Timmermans pour le PSE, Manfred Weber pour le PPE) ne brillent pas particulièrement par leur charisme.
A cela s’ajoute le fait que les deux principaux partis qui ont dominé la vie politique européenne, le PSE et le PPE, sont considérablement affaiblis (Gauches européennes : le renouveau ou la disparition/ Le Parti populaire européen peut-il perdre les élections européennes 2019 ?). Il n’est d’ailleurs pas impossible que la future législature soit la plus fragmentée de l’histoire, avec en plus une forte représentation des mouvements populistes (voir Populismes en Europe – objectif : élections européennes 2019 ?).
Surtout, l’émergence de la République En Marche sur la scène politique française complexifie la donne puisque ce parti n’est affilié à aucun des deux partis précités. Un grand score aux élections enverrait une forte délégation d’eurodéputés En Marche français. Dans un Parlement plus éclaté que jamais, une forte délégation constituerait un atout non-négligeable pour peser sur le choix du futur Président de la Commission. En effet, difficile de faire sans la France, surtout si un groupe type ALDE se retrouve en faiseurs de rois. Emmanuel Macron a tout intérêt à privilégier le choix d’une personnalité extérieure comme Margrethe Vestager aux traditionnelles têtes de liste.
Pourtant, Spitzenkandidaten ou non, l’enjeu principal n’est pas là. L’Europe a besoin d’incarnation. Qui pour la représenter ? (voir L’effacement de la Commission européenne : « et pourtant, elle tourne » !).
Retouvez les principaux enjeux de cette élection ici : Elections européennes 2019 : Quels enjeux ? ainsi que le dossier consacré là : Elections européennes 2019.
Bonjour,
Permettez-moi de vous féliciter pour cet excellent article dont je l’avoue bien humblement je ne connaissais pas cette disposition.
En toute cordialité
Michel
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Bonjour,
Je vous remercie pour votre commentaire. C’est toujours agréable de lire ce genre de réaction.
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Si mes souvenirs sont bons, c’est Jacques Attali qui déclarait il y a quelques années que certaines personnalités notoirement incompétentes de la Commission européenne étaient un désastre pour l’Europe, et que ces choix aberrants étaient peut-être délibérés . On pense à Barroso, Juncker, Viviane Reding, et bien sûr à Federica Mogherini, dont les prises de position peuvent être qualifiées d’extrémistes et dangereuses. Macron lui-même s’inscrit dans ce schéma, au niveau national et européen, puisqu’à l’exception de Jean-Michel Blanquer (et Hulot et Collomb, qui ont pris la sage décision de fuir le Titanic ) il s’est essentiellement entouré d’individus brillant par leur absence totale d’envergure intellectuelle et politique. Et a écarté presque tous ceux et toutes celles susceptibles de lui faire de l’ombre (NKM, Malek Boutih etc ). Je ne crois donc pas que le problème fondamental soit le système mis en place au niveau du parlement européen et de la commission. Même un mode de fonctionnement plus représentatif et plus efficace ne saurait en effet pallier le nivellement par le bas du monde politique, qui est une réalité valable dans toute l’UE, et cela ne date pas d’hier. Le représentant de LR, quoi qu’on pense de certaines de ses convictions liées à sa foi religieuse (tant qu’elles restent dans le cadre privé, elles relèvent de son droit le plus strict), paraît nettement plus solide et crédible que ses divers concurrents, dont l’inénarrable tête de liste LREM . Ce n’est pas pour autant que je voterai pour lui, ni pour qui que ce soit d’autre, mais tant qu’à faire j’aimerais mieux que l’UE soit représentée par des gens ayant un minimum de qualités intellectuelles et ayant une certaine compréhension des défis civilisationnels auxquels le monde (pas seulement l’Europe) est confronté.
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Je vous rejoins pour Jose Manuel Barroso et Jean-Claude Juncker. Mais, je ne comprends pas très bien ce que vous reprochez à Federica Mogherini et Viviane Reding. Je me suis demandé (avant de l’écrire) si j’avais envie de le savoir. J’ai pris le pari de penser que vous ne tomberiez pas à nouveau dans certains travers. L’avenir me donnera raison ou tort.
Par ailleurs, vous avez évidemment le droit d’exprimer une opinion personnelle sur tel candidat aux Européennes 2019, ainsi que sur vos ressentis sur tel ministre. Mais, cet article n’est pas plus le lieu.
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Si vous ne voyez pas en quoi Federica Mogherini est au mieux une irresponsable (au sens médical), au pire une extrémiste, je ne peux rien pour vous. Être pro-européen (ou pas) ne constitue de toute façon pas un critère de respectabilité en soi : de multiples personnalités politiques (en France ou ailleurs) sont des populistes ou/et des extrémistes pro-européens. Les choses fonctionnent rarement selon un mode binaire dans l’existence.
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Alors, vous ne pouvez rien pour moi. Restons en donc là. Je trouve que ce fut plutôt une bonne titulaire à ce poste globalement ingrat.
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On se demande également dans quelle monde Malek Boutih pourrait faire de l’ombre à Emmanuel Macron, mais ce n’est effectivement pas le lieu de se passer la question.
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La rivalité Parlement européen Conseil européen est bien décrite, mais parler du bilan désastreux de Jean-Claude Juncker est très excessif, car il est plutôt satisfaisant. Battu sur les listes transnationales, Emmanuel Macron prend sa revanche à propos de la désignation du futur Président de la Commission européenne.
A lire. Philippe Deloire 26 mai 2019. Election du Parlement européen. Manuel Macron peut-il réussir son pari? Nombre 7 Editions. https://librairie.nombre7.fr/recit/878-26-mai-2019-election-du-parlement-europeen-9782368326848.html
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