Les Etats-Unis : un droit extraterritorial jusqu’à quand ?

L’actualité autour d’Alstom (l’éclairage autour du rachat de la branche énergie d’Alstom par GE et la fusion avortée Siemens/Alstom sur le secteur ferroviaire) offre une belle opportunité d’examiner d’une part, le droit de concurrence de l’Union européenne – voir La politique de concurrence, arme de l’Europe encore en débat – et d’autre part, le droit extraterritorial des Etats-Unis – objet de cet article.

Lorsqu’on pense aux relations internationales, on les réduit bien souvent aux échanges diplomatiques et aux possibles affrontements, tous deux se déroulant sur la scène internationale. Il existe pourtant bien des manières de peser sur l’extérieur sans même se manifester directement sur ce théâtre. Il suffit pour s’en convaincre de voir le nombre d’entreprises quittant précipitamment l’Iran.

L’Union européenne dispose à travers la politique de la concurrence d’un outil redouté puisqu’il lui permet de peser sur le devenir de grandes entreprises, y compris étrangères (notamment les GAFA). Pour se faire, il suffit que les entreprises soient amenées à proposer des marchandises ou des services sur son territoire pour qu’un élément territorial de rattachement existe et puisse permettre l’application du droit européen. C’est pourquoi, même dans le cadre de la fusion de deux groupes américains, il faut parfois que la Commission européenne donne son autorisation, en application des règles précitées. Si les entreprises étrangères acceptent d’être liée par une décision d’une autorité européenne, aussi étrange que cela puisse paraître, c’est que ces entreprises cherchent à accéder au marché européen (le 1er au monde).

Néanmoins, on le voit bien, malgré les critiques américaines récurrentes quant à l’utilisation du droit de la concurrence, cet outil reste limité puisqu’il ne peut viser qu’à sanctionner les atteintes à la concurrence, des ententes aux abus de position dominante.

Or, cet instrument européen est peu de chose, en comparaison des outils mis en œuvre par les Etats-Unis. Deux outils particulièrement font l’objet de débats récurrents et seront étudiés ici. La législation sur les embargos. Celle sur la corruption.

Tout d’abord, à tout seigneur, tout honneur : la législation sur les embargos. Elle a connu de nombreuses déclinaisons, au fur et à mesure que les Etats-Unis se trouvaient des Etats ennemis ou « voyous ». Deux sont particulièrement connues : la loi Helms-Burton de 1996 relative à Cuba et la loi d’Amato-Kennedy de 1996 sanctionnant tous les investissements dans le secteur de l’énergie en Iran et en Libye. D’autres pays ont aussi été visés par ce type de sanction (Corée du Nord, Soudan, etc…)

Derrière le motif politique affiché et évident (interdire à toute entreprise de commercer avec ce pays afin de l’ostraciser au maximum), il ne faut pas négliger le motif économique. Après tout, priver ses seules entreprises d’un marché risquerait non seulement de s’avérer insuffisant (il existe aujourd’hui de nombreux concurrents – mais en plus cela favoriserait l’action des entreprises étrangères sur place qui n’auraient plus à subir la concurrence des entreprises américaines).

Outre l’impossibilité de commercer avec ces pays, ces restrictions s’étend à l’utilisation de la monnaie américaine pour traiter une opération dans l’un des pays ciblés. Le subterfuge juridique consiste à dire que toute transaction en dollars doit être compensée sur le sol américain, ce qui permet de créer un lien de rattachement avec les Etats-Unis . Cette arme est d’autant plus redoutable que comme le notait déjà le politologue Raymond Aron à l’époque, « le dollar est une monnaie un peu plus égale que les autres ». En effet, s’il n’existe plus officiellement de monnaie étalon sur l’or, force est de constater que le dollar continue d’occuper une place prééminente – malgré les efforts de l’euro -. Certains auteurs le qualifient d’ailleurs le régime de changes actuels de « semi-étalon dollar » pour souligner la relative hypocrisie de la situation.

BNP Paribas a par exemple fait les frais de cette utilisation du dollar, devant pour l’occasion s’affranchir d’une amende record de 9 milliards de dollars. Malgré toutes ses atteintes à la concurrence, les amendes cumulées de Google n’atteignent même pas le seuil de 5 milliards.

Là encore, les entreprises ne rechignent pas à s’acquitter de leurs sanctions, de peur de perdre l’accès au 2e marché intérieur du monde et pire, de se voir interdire d’utiliser la principale monnaie d’échange.

Sur ce point, les Européens ne disposent pas d’instrument à même de permettre d’imposer leurs orientations politiques. L’Union européenne est encore très attachée au respect du droit international. Pourtant, il serait peut-être possible via de tels outils de contraindre Israël à négocier avec la Palestine, et d’imposer aux entreprises américaines les mêmes règles qu’à leurs concurrents européens. Encore faudrait-il que les Européens s’accordent autour de priorités communes.

A cette législation bien connue, s’en ajoute une autre, celle contre la corruption. Ici, c’est Alstom qui s’est retrouvé dans le viseur de la justice américaine.

Le timing fut d’ailleurs idéal puisque le groupe General Electric projetait depuis longtemps de racheter le groupe français. Rien de mieux qu’une sanction pour l’affaiblir.

On peut certes se féliciter de l’idéal de justice qui semble animer les juges américains, on peut aussi y voir de graves atteintes à la souveraineté nationale. Sans vouloir encourager les actions d’Alstom, l’Union européenne ne devrait pas tolérer que d’autres puissances fassent la justice à sa place.


Voir La politique de concurrence, arme de l’Europe encore en débat et Les Etats-Unis, adeptes d’un libre-échange à géométrie variable

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