Il a longtemps semblé que la violence diminuait. Nos sociétés se civilisaient, elles « se poliçaient ».
L’architecture de la Chambre des Communes – l’Assemblée nationale britannique – ne doit par exemple rien au hasard. L’espace entre les tribunes de l’opposition et de la minorité correspond exactement à la distance entre deux épées tirées afin que si un trop plein de rage survenait, les armes ne permettent pas de se toucher en un coup.
Après tout, l’Etat avait repris à son compte, pour reprendre la formule, le « monopole de la violence physique légitime », acceptable par tous lorsque l’Etat représente non pas des intérêts particuliers mais l’intérêt général. C’est d’ailleurs toute l’erreur de Jean-Luc Mélenchon lorsqu’il met sur un pied d’égalité la perquisition de policiers diligentés par un juge au siège de la France insoumise à l’immixtion de gilets jaunes dans un ministère.
L’arrivée de la démocratie avait permis de transformer le conflit, en le faisant changer de nature. La lutte pour le pouvoir ne dépend plus du droit du plus fort toujours instable, mais d’une course épisodique où chaque camp peut gagner. Le perdant acceptant la mainmise du gagnant parce qu’elle est temporaire et basée sur des règles acceptées par tous – ou du moins, par le plus grand nombre.
Certes, la violence a toujours été présente dans la vie publique. Le temps n’est pas si loin où certaines injures se réglaient au duel. Gaston Deferre, député socialiste, solda ainsi à l’épée une querelle intervenue au cours de la deuxième moitié du XXe siècle.
Néanmoins, aujourd’hui, la violence a indubitablement franchi un cap, comme en témoignent les tombereaux de menaces et d’insultes que s’échangent non seulement les responsables politiques mais aussi les citoyens entre eux. Or, comme le relevait l’historienne Mona Ouzouf, « l’ensauvagement des mots précède et prépare toujours l’ensauvagement des actes ». Chaque sujet semble susceptible de faire dégénérer les choses et un motif de crispation généralisé.
Twitter y contribue. En 140 ou 280 caractères, vous êtes incités à aller à l’essentiel, à ne pas chercher la fioriture ou le détail. A ce titre, rien de mieux souvent que les formules à l’emporte-pièce ou les insultes. La bulle Joachim Son Forget – ex-député reconverti comme amuseur de galerie – en est un reflet assez fidèle (voir Twitter : #narcissisme exacerbé et #polémiques stériles).
Mais, la problématique des réseaux sociaux, et plus largement de leurs deux caractéristiques majeures (instantanéité et échanges) recoupe la question plus large de la communication et du dialogue.
A trop user la corde de la communication verbeuse, des slogans creux, les gens ont fini par ne plus prêter qu’une oreille distraite aux interventions de leur mandant. Il n’y a qu’à voir les contorsions intellectuelles des uns et des autres lorsqu’ils sont pris dans un évènement incontrôlé (En Marche avec l’ISF, le Front national avec l’euro, la France insoumise avec son alliance bolivarienne, les Républicains avec le programme de François Fillon). Pourtant, les communicants n’ont cessé de se multiplier, alors même que la communication est devenue illisible.
La parole politique n’imprime plus. Les grandes messes télévisées présidentielles perdent rapidement leur auditoire. Décalage criant entre un solennel suranné et préparé et la réalité des petites phrases envoyées continuellement. Ce décalage est d’ailleurs plus frappant chez le dernier des Présidents puisqu’il peut à la fois concevoir des discours aux envolées lyriques, inatteignables pour certains de ces concitoyens et se laisser aller à des mots que n’aurait pas renié Nicolas Sarkozy.
Que faire pour faire reculer la violence ? Redonner toute sa place au débat et à l’échange. Ne pas croire que « ce n’est pas parce qu’on est politiquement minoritaire qu’on a juridiquement tort ». Ne pas croire qu’une élection nous donne quitus pour cinq ans. Mais, ne pas croire non plus qu’on peut remettre en cause en permanence la légitimité de l’élection des gouvernants. Ne pas croire non plus que nier les faits permet de s’en affranchir. Vaste programme.
Voir aussi les deux autres volets :
¤ La politique, c’était mieux avant ?
¤ Les femmes et la politique française : une histoire encore à venir