(Mairie de Paris – France)
L’actualité autour d’Alstom (l’éclairage autour du rachat de la branche énergie d’Alstom par GE et la fusion avortée Siemens/Alstom sur le secteur ferroviaire) offre une belle opportunité d’examiner d’une part, le droit de concurrence de l’Union européenne – objet de cet article – et d’autre part, le droit extraterritorial des Etats-Unis – voir Les Etats-Unis : un droit extraterritorial jusqu’à quand ?
Parmi les politiques publiques mises en oeuvre au niveau européen, aucune ne fait l’objet de davantage de critiques et d’oppositions que la politique de concurrence. Souvent mal comprise, la concurrence, au carrefour de la politique et de l’économie, souffre clairement d’un déficit d’image. Politique historique puisque présente dès l’origine de la construction européenne (notamment pour lutter contre les cartels allemands qui avaient fait tant de mal), elle continue à être considérée par certains comme mauvaise ou illégitime. Pour beaucoup, elle est d’ailleurs le principal instrument de l’Union européenne pour mettre en place un ultraliberalisme (voir L’Union européenne n’est pas ultralibérale)
Néanmoins, la concurrence mérite davantage que les critiques qu’elle soulève. Elle recouvre, il faut le préciser, des réalités diverses et des domaines variés.
Déjà, il faut le signaler car c’est un fait parfois méconnu, la politique de concurrence est assurée au niveau européen par la Commission européenne mais aussi au niveau national par des institutions dédiées : en France, il existe un organisme principal, l’autorité de la concurrence et des organismes sectoriels comme l’Arcep.
Toutefois, comme il s’agit d’une des rares politiques exclusives de l’Union européenne, la concurrence est d’abord organisée au niveau européen, avant d’être réglée au niveau national en vertu du principe de subsidiarité (voir Principe de subsidiarité : un flou organisé).
Une fois ce point précisé, que recouvre la politique de concurrence ? Principalement, trois choses qui seront abordées par ordre croissant d’opposition.
1) Les pratiques anticoncurrentielles
Ces pratiques recouvrent deux catégories bien distinctes : les ententes et les abus de position dominante.
Tout d’abord, les ententes. Il s’agit là des situations dans lesquelles des entreprises pourtant en concurrence sur un même marché s’entendent sur les prix ou les quantités, au détriment du consommateur. Un exemple criant fut l’entente entre SFR, Bouygues et France Telecom sur les forfaits téléphoniques. Malgré la condamnation à une amende, cette entente ne prit réellement fin qu’avec l’arrivée d’un 4e opérateur, Free (Ce billet n’est pas sponsorisé). Inutile de s’attarder sur ce versant qui ne fait pas vraiment débat.
Plus intéressant est le deuxième volet : les abus de position dominante. Ici, ce n’est pas la position dominante qui est condamnable mais le fait qu’un opérateur puisse tirer parti de sa position pour pratiquer des stratégies commerciales néfastes à long terme, notamment pour le consommateur. Un exemple bien connu concerne les GAFA où tour à tour, Microsoft et Google ont été condamnés pour avoir lié différents services au détriment de la liberté de choix du consommateur. Ainsi, à l’utilisation d’un ordinateur sous Windows s’ajoutait l’installation automatique d’Internet Explorer et du Lecteur Windows Media.Et c’est là qu’on touche à un point beaucoup plus sensible, sujet de nombreuses critiques. En effet, rien n’interdit ni n’empêche dans les cas cités à un consommateur averti de procéder à l’installation d’un autre logiciel concurrent. Dès lors, pourquoi s’offusquer que les entreprises mettent en avant leurs propres logiciels ? De même, il se peut très bien que le meilleur logiciel soit celui proposé par défaut. Ne risque-t-on pas en créant une concurrence artificielle de ralentir le progrès ?
Il faut se méfier de cette première analyse a priori. En effet, d’une part, l’opérateur devenu prépondérant sur son marché aura la tentation de se reposer sur ses acquis. A titre d’exemple, le meilleur outil pour améliorer Microsoft Office fut son concurrent gratuit, Open Office. D’autre part, le risque, même si le produit proposé est actuellement gratuit, est qu’une fois les concurrents disparus, l’entreprise fasse payer le produit.Ce risque est loin d’être anodin comme le montre l’exemple de Google maps qui demande aujourd’hui des contributions aux entreprises qui voudraient se localiser.
2) Le contrôle des concentrations
Lorsque deux entreprises veulent fusionner ensemble, elles doivent faire accepter leur projet par les diverses autorités de concurrence. Plus elles représentent un poids important du marché dans lequel elles opèrent, plus leur projet risque de rejet. C’est ce qui est arrivé au projet de rapprochement Alstom/Siemens. Cette décision a soulevé de nombreuses critiques compte tenu de la montée en puissance de concurrents étrangers, notamment chinois.
Toutefois, cette critique récurrente quant au contrôle trop strict de la Commission dans ce domaine touche en réalité à une problématique plus large : l’absence de politique industrielle à l’échelle européenne. Et cette absence est d’abord le fait des Etats, qui cherchent par tous les moyens à préserver leurs champions nationaux au détriment de la logique économique ou de la construction européenne. A titre d’exemple, les Etats ont longtemps bloqué toute avancée sur la disparition des frais d’itinérance pour protéger leurs opérateurs téléphoniques historiques.
3) Les aides d’Etat
Déjà, il convient de rappeler que la politique de concurrence européenne ne peut s’appliquer ni aux affaires strictement sociales (ex : la Sécurité sociale, etc), ni aux activités régaliennes (ex : la police, etc…). En effet, la Cour de justice les a expressément exclu(es).
Surtout, la politique de concurrence doit être articulée avec le bon fonctionnement des services d’intérêt général, y compris ceux qui ont un objet économique. Ce terme de « service d’intérêt général économique » recoupe des terminologies nationales comme le service public de l’énergie ou des transports. Si les entreprises en charge de ces services sont soumises aux règle de la concurrence, c’est seulement « dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie » (article 106§2 TFUE). [voir L’Union européenne n’est pas ultralibérale]
Cela ne veut pas forcément dire, il est vrai, qu’un tel service soit assuré par une société détenue par l’Etat. Cela signifie par contre que l’Etat est en droit d’offrir des avantages ou de l’argent à l’entreprise en charge du service public, qu’elle soit publique ou privée, afin de réaliser ses missions d’intérêt général (et seulement pour celles là).
De tels avantages ne constituent pas des aides d’Etat, et sont donc conformes, à condition d’être proportionnées à l’objectif poursuivi et en lien avec celui-ci. C’est quel article du traité ? demanderait le François Asselineau qui sommeille en chacun de nous. Réponse : Aucun, c’est un arrêt de la Cour de justice, rendu en 2003, dans l’affaire Altmark.
Pour les autres types d’aides délivrés par les Etats, là encore, il faut se garder de certaines réactions épidermiques. On sait que dès qu’une entreprise est en difficulté, la tentation est grande de la secourir aux moyens des subsides de l’Etat. Or, ces opérations, loin d’être neutres, s’avèrent souvent des gabegies sans nom. Il n’y a qu’à voir ce qu’a fait l’Etat de sa gestion d’Areva, d’Alstom et d’Alcatel (voir Alstom, symbole de la fin du triple A industriel français). La politique de concurrence permet ainsi de s’assurer que l’Etat ou les collectivités publiques, sous prétexte d’un intérêt général invoqué, ne financent pas n’importe quoi ou n’importe comment. Elle garantit aussi que les Etats ne cherchent pas à se priver de toute base taxable dans le seul but d’attirer outrageusement certaines entreprises (comme le montre par exemple le cas de l’Irlande et de l’affaire Apple).
Pour autant, la politique de concurrence, admettons-le, a encore quelques faiblesses. Déjà, elle ne s’accompagne toujours pas d’une politique industrielle au niveau européen digne de ce nom. Par ailleurs, elle n’offre toujours pas des moyens de réparation aux consommateurs. Dans les deux cas, ces lacunes sont avant tout le fait des Etats qui craignent par dessus tout une perte de contrôle dans un secteur éminemment sensible. Pourtant, c’est en acceptant de partager leurs industries et leurs souverainetés qu’Allemands et Français ont mis sur pied le 1er avionneur mondial.
La concurrence constitue un puissant outil, s’il est correctement utilisé.
Voir aussi Les Etats-Unis : un droit extraterritorial jusqu’à quand ? et L’Union européenne est-elle ultra-libérale ?