Gilets jaunes : la faute à l’Europe ?

C’est une antienne qui monte, qui monte. Le contexte y est éminemment favorable : une contestation qui s’aggrave et une échéance électorale qui approche. Le cortège des eurosceptiques et des Frexiters, de François Asselineau à Emmanuel Todd, ont pris leur bâton de berger pour diffuser la bonne parole. La colère exprimée et le malaise soulevé par les Gilets Jaunes ne ciblent qu’indirectement le problème. Le véritable drame de la France, c’est l’UE !

C’est donc encore la faute à l’Europe ! On peut se rassurer, le bouc émissaire traditionnel des politiques français – avec l’immigration – a été ciblé. Vous l’avez enfin : c’est Bruxelles qui nous empêche de vivre heureux. Pourquoi s’en tenir à l’avatar de la Commission, Emmanuel Macron alors que c’est le moloch bruxellois qu’il faut renverser ? Après tout, pourquoi ne pas faire campagne dès maintenant pour les Européennes de mai 2019 ?

Force est de constater que toute cette bande s’était faite jusque là plutôt discrète. La faute à… non pas l’Europe cette fois… mais aux élections de 2017 qui avaient vu les forces européennes vainqueurs par KO de leurs adversaires.

Oui, mais voilà, ce n’était que partie remise. Digérant mal une défaite incontestable, cette coalition baroque a repris son combat. On l’a entendue lors de la réforme ferroviaire en début d’année. Là encore, à les écouter, tout venait d’en Haut. A croire que les difficultés de la SNCF (vétusteté des lignes, orientations politiques aléatoires, ….) étaient de la responsabilité de l’Union européenne. Pourtant, il n’en est rien là encore. Mais, ici ce n’est pas le sujet.

De Natacha Polony à Emmanuel Todd, les politiques européennes ont été prises à parti.
Il ne s’agit pas de nier les problèmes et les difficultés que rencontrent certains Français : salaires faibles, recul des services publics, isolement, etc… Mais pour résoudre un problème, il faut en identifier correctement les causes.

La première erreur serait de vouloir expliquer la colère française par l’impuissance publique à laquelle serait condamnée l’Etat à cause de l’Union européenne. Comme s’il n’y avait pas de choix politiques (le TGV au detriment des lignes moyennes) ou des bouleversements sociétaux (concentration autour des zones urbaines). Les remèdes à apporter ne dépendent pas de l’Europe mais de choix politiques. Avec quel argent financer ces services publics dans les territoires reculés ? Les impôts ? Manifestement, certains en ont ras-le-bol. Une partie de la population a le sentiment d’etre amené à contribuer sans arrêt alors que certains, à commencer par les premiers de cordée ne font pas leur part d’effort.

La seconde serait de croire que la crise de la représentation actuelle est liée au fonctionnement européen. La démocratie n’est pas confisquée à l’échelle nationale par une entité supranationale et adémocratique que constituerait l’UE. Là encore, certains semblent oublier que les decisions européennes sont prises par le Parlement européen élu par les citoyens (en mai pour 2019 justement) et le Conseil (les Etats membres). Certains aussi résument la démocratie à la nation alors qu’elle s’exerce à différents échelons (du local à l’européen) qui loin de s’annuler se cumulent.

En réalité, ce mouvement des gilets jaunes, comme le Brexit ou l’élection de Trump, illustre une défiance à l’égard de certaines institutions qui dépasse la question européenne, sauf à envisager que les Etats-Unis soient eux aussi sous domination européenne. Si la crise de 2008 n’a pas causé dans le tissu social des cicatrices aussi profondes que celle de 1929, en ne les soignant pas, ces cicatrices ont eu le temps de s’infecter depuis.

Peut-être que la question n’a pas à voir avec l’Europe, mais relève d’une problématique plus large, celle du consensus autour de l’alliance démocratie libérale / économie de marché. En ayant défendu ces deux piliers, l’Union européenne est peut-être vue comme l’organisation à abattre. Il n’est pas certain que les organisations politiques et économiques qui leur succèderont ouvriront de meilleures perspectives aux citoyens.

Plutôt que le problème, l’Europe peut au contraire représenter une solution. Une taxe carbone comme l’avait avancée Nicolas Sarkozy au niveau des frontières européennes obligerait les entreprises à changer leurs pratiques – au risque de se couper du premier marché mondial -, mais aussi conduirait les consommateurs à privilégier des circuits courts.

Néanmoins, cette orientation des consommateurs vers de nouveaux modes de vie ne peut être uniquement effectuée sur l’angle de la contrainte ou de la pénalité financière. Il faut les accompagner, en réduisant les taxes sur les produits créés ou fabriqués à proximité, en favorisant une meilleure lisibilité de la composition et de l’origine des produits, en offrant de véritables alternatives aux anciennes pratiques. Et, là encore, l’Europe pourrait constituer l’instrument pour favoriser une transition acceptable par tous, et exemplaire pour les pays tiers.

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