Constat paradoxal à l’heure d’écrire ces quelques lignes. Si la mobilisation en nombre faiblit, elle gagne en radicalité. L’éruption de violences a rapidement franchi un palier, au point que certains élus n’ont rien trouvé de mieux à proposer qu’un retour à l’état d’urgence (voir Etat d’urgence : gilet pare-balle ou camisole de force ?).
Si tous les responsables politiques appellent à une sortie de crise rapide, aucun ne semble s’entendre sur les solutions à mettre en œuvre. Qu’on le déplore ou non, Emmanuel Macron paraît coincé, et une sortie par le haut s’éloigne de jour en jour.
Deux solutions s’offraient à lui. Persévérer et courir le risque que le conflit s’enlise ou bien pire, dégénère. Reculer et être accusé de renoncer. On oublie à quel point il fut reproché à François Hollande dans le temps d’avoir cédé face aux bonnets rouges. Assez curieusement, tout à sa posture contradictoire, la droite ne manquerait pas de critiquer un Président faible.
Certes, mardi 4 décembre, le Premier ministre Edouard Philippe a bien annoncé un report de la hausse des taxes sur le carburant, élément à l’origine du mouvement. Mais, la liste des revendications a depuis largement dépassé ce cadre initial. Difficile de savoir à l’heure actuelle si ces annonces sauront ramener le calme. Certains porte-paroles du mouvement des Gilets Jaunes ont déjà considéré que c’était « trop tard ou trop peu ».
Dans le viseur notamment de nombreux citoyens, la réforme de l’ISF menée l’année dernière (voir Réforme de l’Impôt de solidarité sur la fortune : une erreur à plusieurs titres). Cette réforme, à l’instar du bouclier fiscal sous Nicolas Sarkozy, est vite devenue le boulet de l’actuelle majorité. Faute d’avoir sous-pesé les risques politiques, la République En Marche est aujourd’hui à un carrefour : renoncer à une réforme emblématique ou poursuivre une réforme décriée.
En attendant, certains responsables souhaitant capitaliser sur la crise appellent à des réponses politiques. Tour d’horizon de quelques idées entendues ici et là.
¤ Faire un référendum ?
La binarité d’une telle consultation paraît mal s’accorder a priori avec la complexité d’un tel sujet (voir Le référendum, outil démocratique ou arme populiste ?).
Néanmoins, comme le faisait remarquer avec justesse un de mes abonnés, la Suisse a su se prononcer autour de la redevance TV. Néanmoins, une telle consultation, si elle peut servir d’exemple, s’est inscrite sur un temps long de débat et d’échanges, et ne soulevait peut-être pas les mêmes fantasmes que l’écologie aujourd’hui conspuée par certains concitoyens. Sur la question fiscale, voir Gilets jaunes : volée de bois vert sur l’impôt
Le référendum d’initiative citoyenne est certes un outil qui peut s’avérer utile, mais qui devra être manier avec précaution. Il doit, il me semble, être réfléchi non pas isolément, mais en articulation avec d’autres mécanismes (voir Le référendum d’initiative citoyenne, une fausse bonne réponse aux Gilets jaunes ?)
¤ Dissoudre l’Assemblée nationale ?
Cette solution préconisée, non sans certaines arrières-pensées, par le Rassemblement national et la France insoumise, présente bien des curiosités. Déjà, elle consiste à défaire moins de deux ans à peine le résultat d’une élection similaire (les législatives de 2017). Sans surprise, elle est soutenue avec force par deux partis qui n’ont eu qu’un succès mitigé en 2017.
Pour justifier ce choix politique, les deux partis prennent exemple sur la dissolution de juin 1968 qui avaient suivi les événements de mai. Ce parallèle est inapproprié à plusieurs égards. D’une part, et c’était déjà le cas lors des manifestations étudiantes de mai 2018, l’Histoire ne se répète jamais (voir Mai 2018 : pas de Mai 68 bis en vue). Vouloir appliquer au présent une solution passée ne répond jamais correctement au problème. En 1968, le pays était paralysé par la grève générale. Au niveau politique, le pouvoir était entre les mains de de Gaulle depuis 1958. Et si les élections législatives de 1967 avaient confirmé le pouvoir en place, elles semblaient manifester une tendance : la montée en puissance de la gauche. D’autre part, les multiples élections partielles qui ont eu lieu depuis 2017 n’ont clairement pas indiqué une orientation favorable à la France insoumise ou au Rassemblement national. Plus particulièrement, puisque le parallèle avec mai 1968 plaît tant à Jean-Luc Mélenchon, ce dernier devrait se souvenir du résultat de cette consultation : elle avait renforcé les forces gaullistes, au détriment de la gauche.
Pour justifier sa solution, Jean-Luc Mélenchon aurait pu plonger dans l’histoire politique récente de notre pays, à savoir la dissolution de 1997, qui avait abouti à l’arrivée au pouvoir de la gauche. Cependant, cet exemple est lui aussi biaisé puisque la droite sortait de quatre années de gouvernement (et non moins de deux ans ici) et qu’elle avait tenté de faire passer une réforme non-mentionnée dans son programme. Il faut rappeler que Jacques Chirac avait été élu sur le thème de la fracture sociale, avant d’essayer de faire passer une réforme des retraites en décalage.
¤ Démission / destitution du Président de la République ?
A l’instar de Nicolas Sarkozy pour la gauche et François Hollande pour la droite, la personne même d’Emmanuel Macron suscite désormais la détestation d’une partie de la population. Comme pour les deux autres, le style (notamment le vocabulaire utilisé « gaulois réfractaires » et certaines provocations « venez me chercher ») a contribué à faire monter chez certains une animosité totale envers le chef de l’Etat. Pour autant, si de nombreuses erreurs ont eu lieu, réclamer comme certains députés (à commencer par François Ruffin) la démission du chef de l’Etat est dangereuse. Nous vivons en démocratie, c’est-à-dire dans un cadre où les périodes électorales servent à remplacer les gouvernants, mais où en dehors de ces périodes, on n’est pas censé contester ad nauseam la légitimité des gouvernants.
A cet égard, je ne reviendrais que brièvement sur l’idée avancée notamment par l’UPR d’une destitution du Président de la République. Outre qu’elle ne s’inscrit pas dans l’article 68 de la Constitution, elle est proprement dangereuse : on ne renverse pas le chef de l’Etat pour n’importe quel motif, sauf à encourager des pratiques contraires au socle républicain.
S’il est forcément tentant pour une opposition de vouloir capitaliser sur une colère dirigée contre l’actuelle majorité, certains élus jouent aux pompiers pyromanes, et ne pourront guère s’étonner lorsqu’ils arriveront au pouvoir de voir leur légitimité aussitôt contestée par leurs adversaires d’hier.
Depuis la fin des Trente Glorieuses, tous les présidents ont été confrontés à la question du pouvoir d’achat. Combien ont su y répondre ?
C’est peut-être à cela que devraient s’atteler en priorité majorité comme opposition. Et cette urgence sociale doit s’articuler avec l’urgence écologique. Les deux ne sont pas forcément incompatibles, mais appellent une réflexion d’ensemble.
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