Faut-il encore célébrer le 11 novembre ?

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(Musée – Grasse, France)

« Parce qu’il est profondément bien de faire son devoir civique, ceux qui l’ont accompli jusqu’à la mort ne doivent jamais être oubliés, et réciproquement, honorer les citoyens morts pour la Cité est affirmer la grandeur du devoir civique (…)  si la République n’est pas vivante déjà dans le cœur des citoyens, l’enseignement est stérile, et la célébration factice ; on peut alors entretenir le souvenir du passé, mais il n’a plus d’impact sur le présent, plus de sens pour l’avenir. C’est ce qui arrive aux monuments aux morts et aux cérémonies du 11 novembre. » relève ainsi l’historien Antoine Prost  dans le chapitre « Le monument aux morts. Culte républicain ? Culte civique ? Culte patriotique ? », au sein de l’ouvrage collectif Les Lieux de mémoire.

Ces propos, comme la question qui sert de titre à cet article, ne manqueront pas de faire réagir. Pourtant, à l’heure où 2018 marque le centenaire de la fin de la première Guerre mondiale, peut-être est-il temps d’interroger les commémorations du 11 novembre.

Déjà, la première guerre mondiale ne fut qu’une victoire épisodique de la France et du Royaume-Uni. Elle constitua à bien des égards le résultat final d’années d’hystérie nationale. La défaite fut en réalité collective, au point d’entraîner à peine vingt ans plus tard l’Europe dans une nouvelle guerre.

Au demeurant, on peut s’interroger sur comment les Français réagiraient si nos voisins s’évertuaient à fêter en grande pompe la bataille d’Azincourt pour les Anglais, celle de Waterloo pour tous les autres.

Ensuite, la France est aujourd’hui l’une des dernières puissances à célébrer encore cette date comme l’anniversaire de l’Armistice de 1918. Le Royaume-Uni, pourtant principal allié de la France dans cette guerre, a fait évoluer l’événement. Si le 11 novembre ne sert plus à commémorer la première guerre mondiale, il continue à servir de repère pour des cérémonies. En effet, le Royaume-Uni a choisi cette date comme moyen d’honorer l’ensemble des soldats britanniques tombés au cours des différents conflits.

De plus, il convient de relever que la France a su s’affranchir par le passé de certaines dates commémoratives. Ainsi, Valéry Giscard d’Estaing avait supprimé les célébrations du 8 mai, dans un souci de mettre en valeur la construction européenne naissante :   « La guerre a été fratricide pour l’Europe. Elle a accumulé les victimes et les ruines. L’aspiration commune de nos opinions est qu’elle soit la dernière de celles qui ont ensanglanté, depuis longtemps et en vain, le sol de notre continent. Ce qui était jadis un espoir est devenu, enfin, depuis le début de l’organisation de l’Europe, une certitude. C’est pour marquer cette certitude et faire apparaître notre volonté d’organiser en commun notre avenir pacifique que j’ai décidé, avec le gouvernement français, de ne plus commémorer désormais cet anniversaire qui sera ainsi le trentième et le dernier.(…) Sans doute pourrons-nous choisir en commun un jour qui marquera dans l’ensemble de nos Etats, la fondation de l’Europe. Il est temps d’ouvrir la voie de l’avenir, et de tolérer ensemble nos pensées vers ce qui nous rapprochent et ce qui peut nous unir. » S’il ne faut pas oublier son passé, c’est aussi en regardant vers l’avenir qu’on construit son présent.

Le choix de cesser de commémorer le 8 mai est loin d’être anodin, car contrairement au 11 novembre, cette date est plus consensuelle puisqu’elle consacre la victoire des Alliés face à la barbarie nazie. Néanmoins, il s’explique aisément. Le lendemain du 8 mai – le 9 donc -, c’est l’occasion de célébrer une date très européenne, le 9 mai 1950, date du fameux discours de l’Horloge de Robert Schuman alors ministre français des affaires étrangères, qui pose les premières bases de la construction européenne.

Néanmoins, l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand marqua le retour d’une commémoration le 8 mai, entraînant de facto un retour dans l’ombre pour le 9 mai. Certains y virent la volonté de marcher dans les pas du gaullisme, d’autres – plus mauvaises langues – estimèrent après coup qu’il avait quelque chose à se faire reprocher.

Il est peut-être temps de faire le deuil du 11 novembre, et de célébrer de nouvelles dates en commun avec nos voisins européens. L’Europe ne se construira pas dans la commémoration des guerres passées, mais a besoin de fêter des moments de paix.


Voir aussi Centenaire de la Première Guerre mondiale – Leçons d’histoire 1/2 : Suicide collectif et Centenaire de la première guerre mondiale – Leçons d’histoire 2/2 : paix impossible

2 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Sylvain dit :

    La bataille de Waterloo (tout comme celle de Leipzig ) a probablement été un désastre absolu pour l’Europe. Outre les crimes de guerre commis par l’armée de Blücher en 1815 (d’une horreur telle que les Anglais en étaient horrifiés et détestaient leurs alliés prussiens ), elle a marqué la victoire des nationalismes et plus particulièrement du nationalisme prussien, avec toutes les conséquences à long terme que l’on connaît. Sur la nature particulièrement xénophobe et belliqueuse du nationalisme prussien, voir mon ancien post (citation de Heinrich Heine etc…).
    Le fait d’opposer la guerre de 14-18 à celle de 39-45 en pointant le nazisme a ses limites, puisque le premier conflit a également été marqué par un génocide : le premier génocide de l’histoire moderne, dont les nazis se sont précisément inspirés pour mettre en place la Shoah.

    Mais la question est, si j’ai bien compris : ces commémorations ont-elles un sens dans une Europe en paix ? Le problème c’est justement qu’elle n’est plus en paix. Si les guerres entre Etats appartiennent vraisemblablement au passé, nous sommes actuellement en guerre contre le salafisme et les nouvelles formes d’extrême droite ou de crypto-fascisme avançant à visage masqué, qui menacent nos démocraties, nos libertés, nos vies et notre intégrité physique . En incluant les horreurs commises à Telford, à Bristol, voire (toutes proportions gardées) à Cologne, les attentats terroristes et maints crimes racistes et/ou antisémites, le nombre de victimes se chiffre déjà par milliers. De ce point de vue l’engagement citoyen, patriotique (et non pas nationaliste ) et européen a plus de sens aujourd’hui qu’il y a trente ans. Il s’agit d’une guerre « asymétrique » dont dépend notre survie, dans tous les sens du terme . Or nos dirigeants et nos partis politiques européens ont-ils pris conscience de cette réalité historiquement sans précédent ? De toute évidence non, et c’est en fin de compte cela qui donne à toutes ces cérémonies un caractère un peu ubuesque. Comme Emmanuel Macron fustigeant le nationalisme tout en étant un allié d’un régime ultranationaliste et totalitaire : le régime turc d’Erdogan à côté duquel les nationalistes hongrois et italiens font figure d’inoffensifs boyscouts. Ce sont ces contradictions et cette indigence du discours politique (contrairement à celui d’authentiques intellectuels comme Céline Pina ou Boualem Sansal ) qui donnent en fin de compte à ces commémorations un côté un peu dérisoire.

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  2. Sylvain dit :

    Deuxième paragraphe : il s’agit évidemment du génocide arménien (1915-1916) perpétré par les Turcs.

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