(Parlement européen – Strasbourg)
Comme indiqué il y a 2 semaines, le mercredi sera désormais consacré à la publication d’entretiens européens, c’est-à-dire d’entretiens autour des élections européennes 2019, mais aussi de manière plus générale autour du rôle du Parlement européen (voir Entretiens européens).
Aujourd’hui, place à l’eurodéputée Christine Revault d’Allonnes-Bonnefoy, membre du groupe parlementaire Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates et siégeant à la commission des transports et tourisme [2e mandat].
1) Quelle est la journée type d’un eurodéputé ?
Il y a en réalité plusieurs journées types selon que nous travaillons à Bruxelles, siégeons à Strasbourg ou rencontrions nos électeurs en circonscription. À Bruxelles, le temps est au travail parlementaire. Nous nous retrouvons dans nos commission parlementaires (les transports et les libertés civiles pour ma part), nous échangeons sur les dossiers en cours, déposons des amendements aux textes et rencontrons les autres groupes politiques. À Strasbourg une semaine par mois, c’est le temps des votes. C’est une semaine chargée avec des dizaines de rapports ou de résolutions à voter par jour. Quant à la circonscription, j’en profite pour aller à la rencontre des plus jeunes, lycéens ou collégiens, pour les informer sur l’Europe et ce qu’elle peut concrètement changer dans leurs vies. Dans tous les cas, toutes les journées sont intenses !
2) Au cours de ce mandat, quel fut votre meilleur souvenir en tant qu’eurodéputé ? Le pire ?
Mes meilleurs souvenirs sont quelques grands succès de cette législature auxquels j’ai participé. D’abord le vote de ma commission parlementaire sur la réforme du Règlement de Dublin. Nous avons proposé une réforme ambitieuse d’un Règlement dépassé et inefficace. Nous décidons que tous les États doivent traiter les demandes d’asiles, pas uniquement l’Italie et la Grèce. Le Parlement européen est composé de tous les groupes politiques et de toutes les nationalités des États; en aucun cas il est plus simple pour cette assemblée d’arriver à un compromis que pour le Conseil des États membres. Mais nous l’avons fait en bonne intelligence.
Plus personnellement, j’ai été très active dans deux dossiers qui me tiennent à cœur et que je considère comme deux réussites. D’abord en tant que négociatrice pour mon groupe dans la commission d’enquête sur les fraudes aux mesures d’émissions des véhicules (EMIS) à la suite du scandale Volkswagen. Le Parlement s’est exprimé clairement en faveur des consommateurs lésés. D’autre part, je suis très engagée pour le droit des femmes. Dans un rapport du Parlement européen sur violences faites aux femmes, j’y ai fait ajouter un paragraphe sur l’avortement statuant que le déni d’un avortement sûr et légal est une bien une forme de violence extrême. Considérant qu’une grande partie de l’assemblée est conservatrice, c’était une immense victoire de pouvoir le voter et un message fort envoyé à toutes les femmes européennes.
3) Selon vous, quelle fut la plus grande contribution du Parlement européen au cours de ces 4 dernières années ? Quelle fut l’occasion manquée ?
Lorsque les États membres ont renouvelé l’autorisation de glyphosate pour cinq années supplémentaires, alors que nous savons tous les effets dramatiques de ce pesticide sur notre environnement et notre santé, nous avons mis en place une commission spéciale pour investiguer : comment une telle autorisation a été possible ? Il est clair que des conflits d’intérêts existent entre les industriels et certaines agences européennes. C’est une grande contribution du Parlement pour les citoyens qui ont le droit de savoir et de contrôler la prise de décision sur des sujets aussi importants. L’enquête est en cours. Je pense aussi au vote d’un Règlement historique sur la protection des données personnelles à l’aune des avancées technologiques. On oublie que le droit à la vie privée et à la protection des données est inscrit dans la Charte européenne des droits fondamentaux. Face aux géants d’Internet, nous avons fait valoir ces droits devant leurs profits et leurs business models, toujours plus intrusifs et sans le consentement de l’utilisateur.
A contrario, la révision du système d’échange de quotas de gaz à effet de serre (ETS) n’est pas allée assez loin, tant dans la trajectoire linéaire de réduction des émissions de CO2, que pour le manque d’ambition pour le prix de la tonne de CO2 (or, avec un prix trop bas, l’effet dissuasif du système de quotas n’est pas garanti). De plus, des dérogations diminuent la portée du système, et les moyens financiers mis sur la table pour assurer la transition vers des industries propres sont très insuffisants (il reste par exemple possible, via le fonds de transition, de financer le chauffage urbain au charbon dans les régions les moins avancées, ce qui est un non-sens environnemental car cela veut dire que les quotas ETS peuvent financer l’émission de CO2 supplémentaire). En cause, le lobbying industriel intense qui a pesé sur les députés, qui ont de bonne foi craint de détruire l’emploi dans leur circonscription, mais au prix de continuer à attaquer le climat.
4) Compte tenu de sa composition, il semble que le Parlement européen soit moins sujet à la dichotomie classique majorité/opposition. Est-ce un plus ? Ou est-ce au contraire une faiblesse
Le Parlement européen est bien sujet à des dichotomies, déjà entre la droite et la gauche européennes qui ne partagent ni les mêmes valeurs ni les mêmes ambitions pour le futur de l’Europe. Nous nous affrontons quotidiennement sur l’environnement, les droits de l’homme, les droits sociaux ou encore la migration. Mais l’affrontement politique n’est pas forcément une mauvaise chose, je préfère cela à une grande coalition ! Certains parlent aussi de l’opposition entre les libéraux et les populistes mais je la réfute car l’Europe ne peut pas se limiter aux deux faces d’une même pièce. Il y a une autre voie possible incarnée par les Socialistes et Démocrates.
5) Que manque-t-il au Parlement européen pour être un Parlement à part entière ? S’agit-il selon vous d’un manque de volonté ou d’un problème institutionnel ?
Les deux sont liés car nous avons besoin de volonté politique pour modifier substantiellement notre gouvernance institutionnelle. Le Parlement européen et le Conseil des États membres sont des co-législateurs. Mais le Conseil fait un usage abusif du système de vote à l’unanimité et est ainsi paralysé par l’hypocrisie et l’attentisme des chefs d’États et de gouvernements. L’exemple le plus probant est la refonte de notre politique d’asile, toujours bloquée au Conseil. La Hongrie de Viktor Orbán ou l’Italie de Matteo Salvini ne souhaitent pas mieux accueillir les migrants. Le Parlement, élu au suffrage universel direct, doit posséder un réel pouvoir de décision lorsqu’il s’agit de compétences de l’Union européenne. A l’instar d’une assemblée nationale, le Parlement doit donc être l’unique législateur.
6) Compte tenu des premières initiatives citoyennes européennes, comment faire évoluer le mécanisme pour que la parole des citoyens puisse davantage exister dans le débat public européen ?
L’ICE est une bonne initiative mais nous sommes conscients de ses faiblesses. C’est pour ça que sa révision est actuellement en cours au sein du Parlement européen. Nous souhaitons augmenter autant que possible la participation des citoyens européens et surtout assurer une plus grande responsabilité de la Commission européenne devant ses citoyens. Aujourd’hui malheureusement, certaines ICE ont été balayées d’un revers de la main. À chaque fois qu’une ICE réussie (soit un million de signatures provenant de sept États membres), nous demandons l’organisation d’un débat en plénière et une obligation pour la Commission de répondre par une proposition législative. En cas de refus, sa justification devra être exhaustive et claire.
7) La place des lobbys à Bruxelles fait particulièrement débat. Trouvez-vous que les eurodéputés sont particulièrement confrontés à ce phénomène ? Que faire pour rassurer les citoyens sur ce point ?
Les eurodéputés sont affectés, comme tous les parlementaires ou les décideurs politiques qu’ils soient européens ou français. Le Parlement européen a instauré un registre de transparence où tous les lobbys sont enregistrés ; ils y détaillent leurs intérêts et leurs budgets. Je trouve aussi qu’il est bien d’indiquer clairement, dans un rapport, les organisations rencontrées dans le cadre de son élaboration. Mais nous pouvons toujours faire mieux et une réforme de ce registre est d’ailleurs en cours.
8) Les futures têtes de liste aux élections européennes ne devraient-elles pas sortir de primaires citoyennes ?
Les socialistes français ont soutenu cette proposition devant le Conseil du Parti Socialiste Européen à Lisbonne en décembre 2017 avec le soutien des Espagnols. Si cela ne se met pas en place pour cette échéance, il faudra y parvenir car c’est une avancée démocratique.
9) Etiez-vous favorable aux listes transnationales ? Si oui, pourquoi ? Si non, pourquoi ?
Oui je suis favorable aux listes transnationales mais malheureusement ce n’est pas aujourd’hui la majorité du Parlement européen. La droite s’y refuse. Mais je suis convaincue qu’un certain nombre d’eurodéputés devraient être élus dans une circonscription électorale européenne par des citoyens de tous les pays ; sans considérations des frontières. Le sentiment européen serait renforcé.
10) Le Brexit, en un mot ?
Une perte pour l’Union européenne.
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