A quoi pensera le Président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker lorsqu’il s’avancera pour la dernière fois devant le Parlement européen, réuni au grand complet pour l’occasion ?
En effet, le 12 septembre, se tiendra le dernier discours sur l’état de l’Union, pâle copie de son homologue américain. Aux médias aux abonnés absents s’ajouteront le désintérêt des citoyens pour cet exercice qui n’a jamais su trouver son public.
Dans le crépuscule d’un homme qui a consacré plus de vingt ans aux affaires de son pays, le Luxembourg, côtoyant Mitterrand et Kohl, cette dernière prise de parole solennelle aura assurément quelques aspects testamentaires.
Toléré par Angela Merkel et soutenu ensuite par le Parti populaire européen, Jean-Claude Juncker fut donc le premier Président de la Commission européenne dont la nomination dépendit du résultat des élections européennes. Cette innovation offerte par le Traité de Lisbonne a été renforcée par la mainmise du Parlement européen dans ce procédé, au détriment du Conseil européen, via le mécanisme du Spitzenkandidat (voir Spitzenkandidaten : bal tragicomique à Bruxelles)
Son premier discours alors apparaissait d’une étonnante lucidité quant à la situation de crise que traversait l’Union européenne. Il soulignait que sa Commission serait certainement celle de la « dernière chance », appelant de ses vœux une Commission enfin « politique ».
Relevons quand même que sous sa Présidence, la Commission européenne a enfin adapté le cadre budgétaire européen vers davantage de souplesse ; elle a adopté une attitude plus offensive à l’égard des fameux GAFA, et a lancé une réflexion bienvenue autour de l’action législative européenne.
Pourtant, le bilan est loin d’être flatteur.
Certes, tout ne relève pas de sa responsabilité. Difficile par exemple de lui imputer le Brexit qui phagocyte les énergies ou la montée des populismes en Europe qui contribue à paralyser les décideurs politiques, alors même que le statu quo dans lequel se situe l’Union européenne est intenable.
De même, force est de constater que l’architecture institutionnelle créée avec le Traité de Lisbonne, notamment avec cet exécutif à deux têtes (Président de la Commission européenne/Président du Conseil européen), s’est avéré plutôt inefficace, voire improductif. Longtemps sans numéro de téléphone, l’Europe se retrouve désormais avec un annuaire tout entier à offrir. Ce bicéphalisme était d’ailleurs critiqué par Jean-Claude Juncker lui-même dans son précédent discours. L’intéressé s’était prononcé pour une réforme du système qui passerait par la fusion des exécutifs (voir Un Président de l’Europe, un chantier en devenir). Au demeurant, les Etats membres sont toujours incapables d’accepter que dans certaines domaines, l’Union s’exprime en leurs noms et pour leurs comptes, renforçant la confusion et la lisibilité de l’action européenne.
Néanmoins, Jean-Claude Juncker ne peut être exonéré de l’omniabsence de sa Commission (voir L’effacement de la Commission européenne : « et pourtant, elle tourne » !). S’il a eu le mérite de se limiter d’emblée à un mandat, il semble que même ce mandat fut en trop. Dépassé rapidement par les révélations des LuxLeaks (démontrant l’organisation d’un système d’optimisation fiscale de grandes multinationales grâce aux largesses du Luxembourg), il ne s’est jamais véritablement relevé de cette affaire, privilégiant ensuite une diète médiatique. Englué récemment dans la promotion éclair de son ancien chef de cabinet, il a mis sa démission dans la balance pour faire taire les velléités du Parlement européen. Clairement, la démocratie européenne n’en est pas ressortie grandie.
De même, en s’acharnant dans certains domaines sensibles à poursuivre l’action européenne (du glyphosate aux accords commerciaux), il a indirectement contribué à aggraver la fracture entre l’Union et les peuples européens.
Que retenir de tout ceci ? Si Jean-Claude Juncker fut meilleur que José Manuel Barroso son prédécesseur, il n’est jamais arrivé à le reléguer aux oubliettes. Et l’absence de sanction contre ce dernier lors de son passage à Goldman Sachs a constitué une occasion manquée de tourner définitivement la page de ces années. Jean-Claude Juncker laisse ainsi derrière lui un verre à moitié vide.
Voir le dossier consacré aux élections européennes (ici), et notamment un résumé des principaux enjeux (Elections européennes 2019 : Quels enjeux ?)
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