(Centre Pompidou-Metz)
L’Europe n’est pas le seul sujet à diviser les grands mouvements traditionnels (voir La droite et l’Europe : une question de souveraineté ? et La gauche française et l’Europe : une histoire de plan B). En effet, loin de la fracture classique droite/gauche, la laïcité provoque de nouvelles lignes de séparation au sein même de ces mouvements.
La gauche entretient certainement les relations les plus ambiguës et les plus complexes avec la laïcité.
En effet, le combat pour la séparation des Eglises et de l’Etat a été historiquement porté et conduit par la gauche. La République parce qu’elle place tous les Francais à égalité ne peut être attachée à une religion plus qu’à une autre. Des lors, il faut qu’elle se détache de toutes les religions.
Or, aujourd’hui la question de la laïcité divise profondément les partis de gauche. Preuve de la sensibilité du sujet, la violente prise à partie entre Charlie Hebdo et Mediapart, deux journaux pourtant du même bord politique. Certes, le contexte post-attentat a joué un rôle non-négligeable dans la brutalité des attaques. Néanmoins il existait déjà un fond de fortes tensions sur une question adjacente, la place de certaines religions dans l’espace public- sans parler de certaines rancoeurs personnelles (voir Charlie hebdo : 3 ans après, être toujours Charlie ?).
Deux courants de chaque côté ont hysterisé les débats, prétextant détenir la vérité.
D’une part, les « laïcards » dont la figure emblématique est l’ancien Premier ministre, Manuel Valls. D’autre part, les « tolérants » avec pour figure de proue, le directeur de Mediapart, Edwy Penel.
Les premiers, soucieux de breveter leur républicanisme à la face du monde, ont placé la laïcité sur un piédestal. Confondant la neutralité de l’Etat avec une nouvelle religion, ils se veulent les nouveaux prophètes de la République. L’Islam – pour ne pas le citer – constituerait un défi inédit qui justifie de réaffirmer avec vigueur les principes républicains. S’ils invoquent la loi de 1905, c’est pour l’appliquer à la société. Désormais, la laïcité ne se réduit plus au champ de la puissance publique, mais doit s’appliquer à l’espace public.
Les seconds considèrent que la laïcité est aujourd’hui détournée de sa fonction première. Loin de garantir une égalité des religions devant l’Etat, elle servirait de bras armé contre certaines d’entre elles. Dès lors, une démocratie digne de ce nom devrait accepter d’évoluer pour admettre en son sein d’autres religions des lors qu’elles ne portent pas atteinte aux droits fondamentaux.
Pour autant, les deux mouvements ont tort. Pas seulement pour leur usage de propos outranciers (Accusation à l’emporte pièce : « Guerre contre l’Islam » d’Edwy Penel, propos absurdes de Manuel Valls sur Marianne qui arborerait fièrement son sein nu). Mais aussi et surtout parce que la laïcité, celle de 1905, est le meilleur cadre pour le déploiement serein de la République dans le coeur de la population. Cela implique en réalité de ne pas fermer les yeux sur d’éventuelles atteintes et de ne pas la dévoyer vers de nouveaux combats.
Pour autant, à choisir, je serai plus proche des « tolérants » que des laïcards.
En effet, les nouvelles règles voulues par ces derniers pour renforcer la laïcité (loi sur l’interdiction des signes religieux à l’école en 2004, arrêtés d’interdiction contre le burkini en 2016,…) n’ont fait qu’augmenter la méfiance de certaines parties de la population à propos de la laïcité d’abord, de la République ensuite. Or, la laïcité doit rester inclusive, non exclusive (voir Manifeste de foi en la laïcité française). Surtout, ils s’inscrivent en porte-à-faux de la laïcité, fille des Lumières, qui se veut un moyen d’émancipation. Or, ce n’est pas seulement avec des interdictions qu’on fait une éducation.
Le 2e volet est ici : Droite et laïcité : un principe à géométrie variable ?
Sur ce thème, voir aussi Charlie hebdo : 3 ans après, être toujours Charlie ?, L’Europe dans le couple laïcité/religion et Laïcité, religion et coexistence : un triangle d’incompatibilité ?.
On ne peut certainement pas caricaturer les choses en qualifiant Valls de « laïcard » et Edwy Plenel de « tolérant ». Au sujet du sinistre Edwy Plenel, il faut rétablir les faits : il s’agit d’un dangereux extrémiste qui se présente sous une étiquette de gauche mais qui en réalité manifeste aux côtés d’organisations d’ultra extrême droite comme les Indigènes de la République, qui prônent « la lutte des races ». Entre Mein Kampf, le Klux Klux Klan (organisation suprémaciste blanche), Nation of Islam (organisation suprémaciste noire) et les Indigènes de la République , il n’existe aucune différence de fond : le contenu est rigoureusement identique, seul l’emballage diffère. On ne comprend absolument rien à ce qui se passe de dramatique dans les société française depuis 2005 si l’on n’a pas conscience que le PIR est le nouveau visage de l’extrême droite la plus radicale, du nazisme, ce qui implique que tous ceux ayant des liens avec lui constituent de l’extrême droite _ ce qui inclut aussi bien Edwy Plenel ou Christine Delphy que le NPA ou la France Insoumise.
Quant à Valls il a au moins le mérite d’avoir essayé, parfois maladroitement, de combattre l’islamisme radical (donc le fascisme), le racisme et l’antisémitisme. Ce qui est le devoir de tout vrai républicain. Au-delà du débat sur la laïcité, ce qui est en jeu c’est la defense de la démocratie et des citoyens face aux nouveaux nazis : salafisme, PIR et tout ce qui s’en approche de près ou de loin. Rappelons quand même que depuis 2005 la France connaît une vague d’attentats et de crimes racistes ou/et antisémites sans précédent. Et ce n’est pas un hasard : cela aurait pu être empêché.
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