Dignité humaine, où es-tu ?

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(Conseil d’Etat – Place du Palais-Royal – Paris, 2017)

On croit souvent que le droit est objectif, codifié et immuable. Il n’en est parfois rien. Le droit peut aussi être fluctuant et équivoque. Exemple aujourd’hui avec le principe de dignité humaine.

Ce principe accorde une essence particulière à l’Homme. Pour reprendre les mots du philosophe Paul Ricoeur, « quelque chose est dû à l’être humain du fait qu’il est humain. » Autrement dit, toute personne mérite un respect inconditionnel par sa qualité d’Homme.

Ce principe longtemps ignoré par notre droit a obtenu une reconnaissance tardive au début des années 1990. Consacré comme objectif à valeur constitutionnelle en 1994 par le Conseil constitutionnel lors de l’examen des lois bioéthiques, il a obtenu sa notoriété devant le juge administratif. En effet, le Conseil d’Etat a été conduit à se prononcer en 1995 sur une affaire un brin particulière, à savoir l’interdiction du lancer de nains prononcée par le maire d’une commune – connue sous le nom de « Commune de Morsang-sur-Orge ». Toute la problématique consistait en ce que le nain en question était consentant – et rémunéré – pour cette prestation. Pour arriver à autoriser l’interdiction, le Conseil d’Etat s’appuie sur le principe de dignité humaine, qui permettrait en l’espèce de se prononcer pour le bien d’autrui contre la propre volonté de ce dernier.

La portée potentiellement démesurée de l’arrêt traduit l’hybris d’une pensée aux ramifications considérables, et qui place le droit au gré de l’arbitraire des considérations de chacun. Ainsi, si le lancer de nains est jugé contraire à la dignité humaine, que doit-on penser de la prostitution ou de la pornographie ? Où placer le curseur ? La limite ? On voit bien que ce principe renvoie aux convictions personnelles de chacun, et varie en fonction du temps. Surtout, en interdisant l’activité exercée par cette personne, le juge lui refuse alors le droit d’exercer ce métier (Libération avait mené une enquête pour savoir ce qu’était devenu cet homme, voir l’article ici). Pour sortir de ce cas précis, on retrouve une problématique voisine lorsque ce principe est invoqué par les partisans du droit à mourir. N’est-il pas ironique qu’un principe pensé pour protéger la personne humaine se retrouve utilisé pour faciliter sa mort ?

Les débats autour de la dignité humaine ont dépassé le cadre de nos frontières. Tour à tour, la Cour européenne des droits de l’homme (SW c/ Royaume-Uni, 1995) et la Cour de justice de l’Union européenne (Omega, 2004) ont reconnu la place de ce principe.

A cet égard, la situation est particulièrement cocasse puisque le principe de dignité humaine a fait son apparition au niveau national, en remplaçant le sulfureux et déjà controversé principe de moralité publique. Là encore, ce principe n’était pas arrivé à faire consensus et se trouvait doté d’une certaine connotation morale qui semblait en contradiction avec l’établissement d’un jugement objectif.

Néanmoins, il refit brièvement surface à l’occasion des interdictions du spectacle de Dieudonné, justifiées en amont au nom notamment de ce fameux principe, avant de toutefois être écarté compte tenu de la fragilité du procédé.

Or, les critiques qui fleurirent à la suite de l’usage de ce concept conduisirent – fort heureusement – le juge à de la retenue dans son utilisation. Ainsi, lorsque le politique proposa de se baser sur ce principe pour interdire la burka ou le burkini, le juge est revenu s’interposer pour protéger les libertés. En 2010, saisi pour avis par le Gouvernement, le Conseil d’Etat, soit la plus haute juridiction administrative française, considéra que la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public – visant implicitement la burka – ne pouvait être fondée sur des considérations de dignité humaine, mais devait plutôt être rattachée à la préservation de la sécurité publique. De même, dans une série d’affaires médiatiques en 2016, à propos des arrêtés pris par des élus locaux contre le burkini, le Conseil d’Etat a rejeté les arguments d’une atteinte à la dignité humaine (voir Manifeste de foi en la laïcité française et Laïcité, religion et coexistence : un triangle d’incompatibilité ?).

Cette retenue du juge devant un principe qui « sent le souffre » pour reprendre l’expression du professeur J. Rivero est bienvenue. Le droit doit autant que possible sortir de l’arbitraire, au risque de réduire son acceptation par la collectivité.

 

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