(Tableau – Musée des Beaux-Arts de Lyon – 2017)
« Messieurs les jurés, il y a, dans l’exercice de nos fonctions, des moments où nous-mêmes nous avons presque peur de l’humanité »
Le procureur dans Les Frères Karamazov de Dostoïevski
Comme ses prédécesseurs, le Gouvernement français est confronté à une problématique récurrente, faute d’avoir été traitée auparavant : la surpopulation carcérale.
En effet, les prisons françaises débordent littéralement de détenus. Certains établissements affichent une suroccupation des locaux dangereuse. Les exigences minimales de dignité sont souvent bafouées malgré le bon vouloir de l’administration pénitentiaire. Les condamnations de l’Etat pour traitement dégradant, voire inhumain se multiplient, sans que la situation d’ensemble n’évolue considérablement. La France est pourtant pointée du doigt régulièrement sur l’état de ses prisons par des organismes internationaux. Le classement dans ce domaine nous situe d’ailleurs souvent derrière la Turquie.
Évidemment, il y a celles et ceux qui estiment que cet état n’est qu’un juste retour des choses pour des gens coupables. Outre qu’une justice parfaite est un oxymore, il convient de souligner que traiter de manière barbare des malfaiteurs nous place à leur niveau, et non au-dessus d’eux. Niveau exemplarité, on repassera.
Des lors, comment répondre au défi de la surpopulation carcérale ?
Deux thèses radicalement opposées s’affrontent.
Selon la première, la solution viendra de la construction de places de prison. Après tout, s’il y a suffisamment de places, le problème sera résolu. Cette solution a priori de bon sens omet deux séries de critiques. D’une part, les plans de construction de nouvelles places se succèdent sans régler véritablement le problème. La faute à un retard dramatique que l’Etat ne parvient pas à combler. D’autre part, le besoin réel de places est supérieur au nombre actuel de détenus puisque certains magistrats évitent autant que faire se peut la mise sous écrous, ayant conscience des conditions actuelles. Il est donc fort probable que de nouvelles places soient remplies par des personnes qui aujourd’hui ne sont pas emprisonnées. Ce dernier élément est justement paradoxal. La première pensée pourrait être de se féliciter de voir ainsi l’ensemble des condamnés purger leur peine. Pourtant, en réalité, cet état interroge la bonne réponse pénale.
En effet, contrairement à la première thèse, la deuxième considère que la réponse pénale ne passe pas nécessairement par la prison. Le régime carcéral devrait rester l’exception, et non la règle. Forcément, à l’heure où l’insécurité apparaît comme une problématique dominante pour de nombreux Français, cette thèse peut apparaître hérétique.
Néanmoins, elle est soutenue par des solides arguments qu’il convient d’étudier. Force est de constater que les pays qui réussissent le mieux dans le traitement de la question pénale (Canada, Suède, etc…) limitent au minimum la place de la prison. En effet, la prison isole et exclut le détenu du reste de la société.
Or, le but de la prison n’est pas seulement de punir, mais de réinsérer la personne dans la société. Des lors, il s’agit de mettre en place le meilleur cadre pour assurer ensuite le retour à la vie normale.
Le risque sinon ? Faire de la prison, ce que dénonçait déjà Alexis de Tocqueville « ce noviciat de la récidive ». Risque d’autant plus grand aujourd’hui que différents types de délinquance se côtoient et qu’il n’est plus rare que les petites frappes croisent la route de criminels plus endurcis. La prison deviendrait-elle l’école du crime ?
En réalité, la peine rejoint la problématique plus large de l’insécurité, et la réponse à apporter. Faire de la prison l’élément central s’inscrit dans la logique d’une politique toujours plus répressive sans apporter de résultats réels sur le terrain. Si le clivage droite/gauche sur cette question persiste encore, on constate de plus en plus une fuite en avant des partis politiques vers les propositions les plus audacieuses – les plus stupides, par peur de subir l’accusation de laxisme. Course effrénée et toujours insuffisante pour satisfaire l’imagination des politiques et tâcher de répondre au cri du coeur lancé par le présentateur TV, Robert Gicquel en 1976, « La France a peur ». Or, les études sur le sujet ont montré qu’alors que 90% des Français n’avaient pas subi de menaces ou d’agressions, 76% notaient une augmentation de l’insécurité. C’est ce décalage qui permet d’expliquer que des aberrations comme l’état d’urgence et la déchéance de nationalité peuvent prospérer (voir L’hystérisation de la réponse : une menace pour la démocratie ?).
En fin de compte, bon nombre d’idées reçues continuent d’être véhiculées, sans apporter de réelles solutions au problème. Lutter contre l’insécurité est certes une nécessité. Mais, pour cela, encore faut-il agir efficacement sur cette problématique.
Sur ce thème, voir aussi Les droits de l’homme : des « éléphants en voie d’extinction » ?