Chien blanc, noirs desseins

IMGP3230

(Oeuvre – Musée Pompidou-Metz – Metz, France – 2010)

« Ils sont là. Ils se présentent. Ils insistent, ces salauds-là. Puisqu’ils insistent, je vais le faire. C’est plus fort que moi, tu le sais parfaitement. Je vais te leur foutre un livre sur la souffrance des Noirs, un de ces coups de baguette magique qui mettent fin à la souffrance des Noirs, comme Guerre et Paix ou A l’Ouest rien de nouveau ont mis fin aux guerres. » 

 

Deuxième livre de Romain Gary à faire l’objet d’un billet (voir Les Racines du Ciel : une lecture en résonance avec l’actualité), Chien blanc représente à bien des égards, des éléments de continuité et de rupture dans l’oeuvre de cet écrivain.

Une continuité d’abord, parce que comme dans ses autres ouvrages, Romain Gary révèle une profonde croyance dans l’être humain. Un Humaniste au sens classique du terme. Cet humanisme n’est plus seulement le trait d’un de ses personnages, mais fait corps avec le narrateur principal de cette histoire, l’auteur lui-même.

Cette foi en l’homme s’accompagne d’ailleurs d’un amour irrépressible des animaux. Aux éléphants qui imprègnent Les Racines du Ciel, répond ici la place centrale accordée à un chien. Dans les deux cas, ceux-ci subissent la bêtise humaine. Cette stupidité semble presque inhérente à l’homme. En tout cas, elle semble communément partagée. « Les gens qui avaient organisé cette réunion, quelle que fut la couleur de leur peau et en dehors des escrocs présents, ont fait la preuve d’une fraternité authentique : celle de la connerie ».

Ainsi, si Les Racines du Ciel faisait figure de plaidoyer pour la liberté, Chien Blanc est assurément un écrit engagé vers la fraternité, une fraternité entre les peuples.

Toutefois, cette force dans l’Homme se déploie dans un panorama plus sombre de l’humanité, mais aussi de l’humain.

Comme si Gary avait au fur et à mesure perdu de sa conviction.

Sans révéler la chute finale, Chien Blanc s’inscrit pleinement à contre-courant de son autre ouvrage, Les Racines du Ciel, qui portait un message résolument optimiste. Implicitement, dans ce livre, nos bonnes actions finissent par infuser dans l’humanité. A l’inverse, dans Chien Blanc, une part de prédétermination semble maintenir, voire réduire l’humanité à sa condition première.

La difficulté de cette humanité est renforcée par une sociologie particulière. Ainsi, alors qu’Américains et Français connaissent une période faste économiquement, les manifestations sont légions. Aux émeutes des Noirs répondent les manifestations de mai 1968. Elles sont les révélateurs des failles béantes de la société de consommation, qui n’assure pas le bonheur de tous ses membres, sans être en mesure d’offrir à chacun ce dont il a besoin – ou, du moins, ce qu’il croit avoir besoin.

« Cette ruée au pillage est une réponse naturelle d’innombrables consommateurs que la société de provocation incite de toutes les manières à acheter sans leur donner les moyens. J’appelle « société de provocation » toute société d’abondance et en expansion économique qui se livre à l’exhibitionnisme constant de ses richesses et pousse à la consommation et à la possession par la publicité, les vitrines de luxe, les étalages alléchants, tout en laissant en marge une fraction importante de la population qu’elle provoque à l’assouvissement de ses besoins réels ou artificiellement créés, en même temps qu’elle lui refuse les moyens de satisfaire cet appétit (…)

J’appelle donc « société de provocation » une société qui laisse une marge entre les richesses dont elle dispose et qu’elle exalte par le strip-tease publicitaire, par l’exhibitionnisme du train de vie, par la sommation à acheter et la psychose à la possession, et les moyens qu’elle donne aux masses intérieures ou extérieures de satisfaire non seulement les besoins artificiellement créées, mais encore et surtout les besoins les plus élémentaires» 

Cette dénonciation de notre société de consommation-provocation a forcément un écho particulier avec certains événements récents. Sommes-nous si différents aujourd’hui ?

Pour autant, l’émancipation de l’homme de sa condition « naturelle » reste possible. Mais, elle suppose un engagement de tous pour en sortir. « Je suis un de ces démocrates qui croient que le but de la démocratie est de faire accéder chaque homme à la noblesse ». Et quel meilleur vecteur que l’éducation pour parvenir à cet objectif ?

5 commentaires Ajouter un commentaire

  1. laurentlarismo dit :

    L’analyse de Romain Gary rejoint les thèses de Guy Debord développées dans la Société du Spectacle.Évidemment, le phénomène s’est aggravé de nos jours. La publicité omniprésente couplée à la diminution relative du pouvoir d’achat d’une partie de la population confirme la thèse de Gary et l’ascension de Facebook et des autres réseaux sociaux confirme celle de Debord.

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