Glyphosate : Round 2 ?

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(Champ de lavandes – Lubéron, France – 2013)

A la surprise générale, une majorité qualifiée d’Etats s’est prononcé en faveur de la réautorisation pour cinq ans du glyphosate, l’herbicide de Monsanto. Sans revenir sur les débats soulevés par le produit, déjà examinés ici (voir Glyphosate : dernier round pour le Roundup ?), cette réautorisation a suscité une série de réactions et d’interrogations, qui méritent quelques développements.

Deux points particulièrement doivent être examinés. Le vote allemand et la déclaration française.

Tout d’abord, la réautorisation du glyphosate a été permise par le revirement allemand, qui est passé de l’abstention au vote favorable. Que n’a-t-on pas dit de ce retournement, en France ? Plusieurs commentateurs y ont notamment vu au mieux un affront de la Chancelière allemande, au pire, un camouflet pour le Président Emmanuel Macron. Or, il faut se garder d’examiner les affaires européennes sous le prisme franco-français au risque de passer à côté des véritables motivations.

Ainsi, comme l’a révélé ensuite la presse, le changement de position est le fait d’un seul homme, Christian Schmidt, ministre de l’agriculture et membre de la CSU, visiblement sans concertation avec ses homologues au Gouvernement, et notamment la ministre de l’environnement, membre du SPD et la Chancelière membre de la CDU. Ce choix personnel s’explique aisément par les futures élections régionales en Bavière que son parti espère remporter. Il convient d’ajouter que le fabriquant du Roundup, Monsanto appartient aujourd’hui à un groupe allemand, Bayer. De même, que le choix original d’abstention s’expliquait par les discussions alors en cours entre la CDU, la CSU, les Verts et le FDP. En effet, les Verts avaient fait de ce sujet une condition à une éventuelle coalition.

Au demeurant, la France ne s’était pas particulièrement engagée sur cette question : ni tournée présidentielle en Europe, ni même rencontres intensives avec les homologues européens. Autant il semblait logique de « saluer » le compromis sur le détachement des travailleurs détachés (voir Travailleurs détachés : un dysfonctionnement exemplaire) sur lequel la France et notamment son Président s’étaient particulièrement impliqués, autant il ne faut pas voir dans chaque mise en minorité de la position française une défaite nationale. C’est le jeu de la règle à la majorité qualifiée. Il y a nécessairement des États qui se retrouvent un jour dans la minorité. Mais, cette place dans la majorité ou la minorité est fluctuante en fonction des sujets, ce qui témoigne de la capacité à se faire confiance et à accepter une décision collective. Après tout, c’est le sens de nos régimes démocratiques, qui ont érigé la règle de la majorité en norme centrale.

Toutefois, ce retournement d’un pays, on le voit, impacte directement l’ensemble de l’Union européenne. Il est fortement dommage que des considérations internes puissent ainsi aboutir à modifier des décisions dont les conséquences touchent l’ensemble des citoyens européens. Sur de tels sujets, il semble nécessaire de renforcer le poids du Parlement européen, seul véritable relais de la société civile et des citoyens, et de diminuer celui des États qui ont trop tendance à s’abriter derrière l’entité européenne pour adopter les décisions potentiellement néfastes à la vie des citoyens.

Second point sur lequel il convient de revenir, la déclaration française. En effet, le Président de la République a indiqué que la France interdirait unilatéralement le glyphosate dans 3 ans. Pour autant, en a-t-il le droit ? En somme, est-ce contraire au droit de l’Union européenne ?

Certes, le Commissaire européen à la santé a indiqué qu’il ne voyait pas de contrariété à ce que la France puisse agir ainsi. Ce blanc-seing n’est pour autant pas satisfaisant. D’une part, étant donné la sensibilité politique du dossier, il était fort peu probable que la Commission s’engage dans un recours en manquement pour faire condamner la France. D’autre part, le principal risque contentieux vient de recours formés par des agriculteurs ou Monsanto lui-même pour faire condamner la France.

Cette hypothèse est loin d’être un cas d’école puisque la France a déjà été confrontée à une telle situation à propos du maïs génétiquement modifié de Monsanto. En 2016, le Conseil d’Etat annulait l’interdiction de commercialisation et de culture de ce maïs, considérant qu’il n’était pas possible de conclure à un  « risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l’environnement ». La juridiction s’était appuyée notamment sur l’avis de l’Autorité européenne de sécurité des aliments. Pour autant, l’interdiction du produit avait été maintenue puisque la législation européenne avait entre temps évolué et permis à un Etat membre d’interdire ce prodit sur son territoire pour des motifs de politique agricole, d’aménagement du territoire ou des conséquences socio-économiques.

Si on y regarde bien, il existe de nombreuses similitudes dans la procédure entre le maïs génétiquement modifié et le Roundup. A cet égard, la France invoquera certainement les risques pour la santé ou le principe de précaution. Il n’est toutefois pas certain que ces arguments soient retenus. Il n’existe pas de consensus scientifique dans ce domaine. En fin de compte, la question pourrait finir par atterrir entre les mains de la Cour de justice de l’Union européenne, instance suprême pour régler ce type de contentieux.

A cette occasion, tout dépendra vraisemblablement de la confiance qu’à la juridiction dans les avis prononcés par les agences européennes. En effet, si elle les considère fondés, elle ne pourra que dénoncer la position française. A l’inverse, si ils lui semblent biaisés, elle pourrait suivre une autre opinion, comme celle du Centre international de recherche contre le cancer qui a placé le glyphosate parmi les cancérogènes probables. Ce classement suffit pour faire sortir un produit du marché unique, d’après le règlement européen applicable n°1107/2009.

En fin de compte, l’épisode à rebondissement du glyphosate doit servir d’exemple pour repenser le cadre législatif actuel. Pas dans cinq ans lorsqu’il faudra examiner à nouveau sa réautorisation. Mais, dès maintenant. Comme le notait le journaliste Stéphane Foucart, « si l’on attend le label « cancérogène certain » avant d’agir, il faut attendre de pouvoir compter les malades et les morts, et les attribuer sans équivoque au produit – ce qui est très long, coûteux, scientifiquement complexe et parfois tout simplement impossible. ».

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