(Adam et Eve chassés du paradis – Florence, Italie – 2011)
Dans La richesse cachée des nations. Enquête sur les paradis fiscaux, l’économiste G. Zucman relevait que les Iles vierges étaient le deuxième investisseur en Chine en 2010 (14%), derrière Hong-Kong, mais devant les Etats-Unis (4%). Avec un PIB 20000 fois inférieur à celui des Etats-Unis, les Iles Vierges contribuent trois fois plus au développement de la Chine. Si l’argent ne dort jamais, force est de constater qu’il se repose souvent dans les mêmes pays. Cette réalité tristement connue illustre l’hypocrisie de certains politiques qui s’indignent ponctuellement d’une situation permanente et ancienne.
Aux scandales révélés par le Luxleaks et les Panamapapers, viennent donc s’ajouter les informations contenues dans les ParadisePapers. Cela peut sembler beaucoup. C’est en réalité bien peu. Ce n’est que la partie immergée de l’iceberg, qui apparaît enfin sous nos yeux.
Jusqu’où devra aller la liste d’individus et de sociétés concernés par ce type de montage financier pour qu’une véritable action se mette en place ?
En effet, l’optimisation et l’évasion fiscales sont un jeu bien connu de la mondialisation. Plus de 7600 milliards de dollars seraient présents dans les paradis fiscaux. L’évasion fiscale représenterait pour la France un manque à gagner compris entre 40 et 60 milliards d’euros (estimation relative forcément). Il convient d’emblée de s’entendre sur les termes. La fraude fiscale comprend toutes les soustractions illégales à une imposition. Cela couvre donc l’évasion fiscale, mais aussi le travail au noir, et d’autres comportements. L’évasion fiscale, quant à elle, concerne le transfert d’argents dans des zones de non-droit fiscal. L’optimisation fiscale couvre d’un joli mot un comportement éthiquement douteux : jouer avec la législation pour parvenir à s’exempter de ses obligations de citoyen. Il faut être clair, ce qui est légal n’est pas toujours moral. Déjà, en 1937, F. D. Roosevelt, président des Etats-Unis relevait que « les moyens d’échapper ou de tenter d’échapper à l’impôt sont nombreux. Certains revêtent l’aspect de la légalité, d’autres sont à la limite de la légalité ; d’autres sont franchement contraires à la loi. Tous se ressemblent en ce qu’ils sont sans aucun doute contraires à l’esprit de la loi. »
Car, oui, la contribution publique constitue l’un des devoirs de tout citoyen. Sans entrer dans le détail, elle assure le financement de services publics auxquels chacun peut accéder. A cet égard, il convient de le souligner, ce sont souvent les plus riches qui bénéficient le plus des politiques mises en place. Entendre Gérard Longuet, ancien ministre proférer qu’il s’agit qu’un comportement normal vu le niveau de taxation en France est tout bonnement indigne.
Pourtant, des solutions existent, et ce, à de multiples niveaux.
Au niveau des Etats, d’abord.
Les listes publiées par l’OCDE sont clairement insuffisantes. Elles devaient distinguer les paradis fiscaux qui signaient des accords de coopération et les récalcitrants. Elles ont abouti à des caricatures d’accords entre ces paradis fiscaux et des Etats peu regardants qui a permis aux premiers de se prémunir contre un black-listage, et aux seconds de se dédouaner de toute action efficace. A cet égard, les conférences surréalistes de Nicolas Sarkozy alors président de la République annonçant la fin des paradis fiscaux frisent au mieux le pathétique, au pire le ridicule.
Il s’agit de mettre en place de véritables mécanismes de contrôle des paradis fiscaux, véritables trou-noirs financiers (ce qui leur permet au passage d’être les lieux idéaux pour blanchir à grande échelle de l’argent. Forcément, quand on n’est pas regardant sur l’effectivité des activités des sociétés implantés, on ne s’intéresse pas à l’origine de l’argent).
En cas de refus de coopération totale, les Etats intéressés – et ils sont nombreux – devraient mettre en oeuvre des sanctions économiques, voire même un embargo. Etant donné la dépendance des paradis fiscaux au commerce extérieur, il serait aisé de les faire plier, si seulement les Etats industrialisés en avaient la volonté.
En parallèle, les sociétés qui iraient s’implanter dans ces pays – les banques en particulier, mais aussi les multinationales – pourraient perdre leur agrément au niveau national ou être sanctionnées en conséquence. L’exemple de BNP Paribas condamné à une amende de plusieurs milliards de dollars pour violation d’embargos avait marqué les esprits. Même si les législations extraterritoriales existantes sont inappropriées pour l’Iran et le Cuba, elles peuvent servir de modèle utile dans ce cadre-là.
Au niveau des citoyens, ensuite. Car oui, une action est possible. S’il est bien beau de s’indigner contre le comportement fiscal de certaines entreprises, Apple et Nike en tête, la tartufferie n’est jamais loin. Lorsque ces mêmes citoyens se précipitent acheter le dernier iPhone, ils contribuent à encourager un modèle d’entreprise qui se développe sur le dos du contribuable, c’est-à-dire qui se paie leur tête. Apple est certainement aujourd’hui le groupe qui dispose le plus de trésorerie (200 milliards de dollars), tout en ayant la première capitalisation boursière au monde. Or, Apple est surtout passé maître dans l’optimisation fiscale pour ne payer d’imposition nulle part. A titre d’exemple, Apple préfère emprunter de l’argent sur les marchés plutôt que d’utiliser son trésor de guerre, de peur d’être taxé dessus. Ces entreprises bénéficient comme les citoyens des investissements consentis par les Etats dans l’éducation, dans les infrastructures. Elles ont aussi des responsabilités.
Si les impôts sont ce que nous payons pour une société civilisée, « trop d’individus » remarquait le secrétaire d’Etat aux finances Morgenthau de Roosevelt « voudraient une civilisation au rabais ». Plus de 80 ans après, on n’a pas mieux dit ; preuve qu’il reste beaucoup à faire.
Voir Paradis fiscaux : la lutte entravée de l’Union européenne (ParadisePapers 2/2)
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