(Champ de lavandes – Lubéron, France – 2013)
Voilà la question du moment qui agite le microcosme bruxellois. Société civile, experts scientifiques, administrations et politiques s’écharpent sur un sujet en apparence plutôt technique. A titre d’exemple, au sein de la majorité présidentielle en France, une partie des députés avait signé une tribune au journal Le Monde pour une interdiction du glyphosate, un herbicide bien connu produit par Monsanto (-Bayer).
Faut-il ou non alors prolonger l’autorisation du glyphosate ? C’est cette question qui était soumise aux représentants des Etats membres aujourd’hui, mercredi 25 octobre.
Avant d’examiner l’avenir, il convient de rappeler que le glyphosate est actuellement autorisé au sein de l’Union européenne, et ce jusqu’en décembre 2017. Or, il n’aura échappé à personne que comme dans Game of Thrones, l’hiver vient, et avec lui le mois de décembre.
Il pourrait être tentant, comme certains le recommandent, d’attendre avant de se prononcer. Compte tenu des divergences entre les agences européennes et le Centre international de recherche contre le Cancer, de nombreuses personnes, s’appuyant sur le principe de précaution, demandent un moratoire, le temps de mener à bien des études indépendantes et fiables.
Cette solution « de facilité » est toutefois susceptible de soulever deux séries de critiques.
D’une part, elle ne prend pas en compte l’actuelle dépendance des agriculteurs à ce produit. Et il n’existe pas, aujourd’hui, de produits de remplacement identifiables. Certes, à cette question pratique, on pourrait toujours opposer la possibilité de soutenir la filière pour l’aider à la reconversion. Mais, une telle transformation ne s’opère pas en une nuit.
D’autre part, l’absence de décision au niveau européen est susceptible d’entraîner une condamnation au bénéfice de l’industriel Monsanto, qui pourrait lancer un recours en carence contre la Commission européenne pour ne pas avoir proposé de décision. Ce recours permet en effet de faire condamner une institution européenne qui refuse de se prononcer alors même que les Traités prévoient qu’elle doit prendre position. Néanmoins, à cela, il serait possible d’invoquer devant la Cour de justice le principe de précaution. Reste à savoir si un tel moyen pourrait prospérer dans une telle affaire.
L’éventualité d’un recours en carence ne doit pas faire oublier une chose. Si c’est la Commission qui propose, ce sont les Etats à travers le Conseil de l’Union européenne qui ont le dernier mot et qui décident. Il faut que la décision de la Commission obtienne la majorité qualifiée (55% des Etats, représentant 65% de la population).
Au départ, la Commission avait proposé une réautorisation de 10 ans de ce produit, soutenue notamment par les Pays-Bas et du Danemark. Néanmoins, de nombreux Etats, à commencer par la France et l’Allemagne, avaient soulevé des réticences quant à ce terme considéré comme trop long.
Au demeurant, le Parlement européen s’est positionné le 24 octobre sur cette question, en demandant un renouvellement limité à 5 ans. Si le Parlement européen n’a pas officiellement voix à chapitre, il est certain que son avis aura un certain poids ; la décision des Etats ayant lieu le lendemain. D’ailleurs, la Commission a abaissé le jour même son projet de réautorisation pour une durée comprise entre 5 et 7 ans.
Est-ce (in)suffisant ? Faute de majorité au sein des Etats, la Commission a du repousser l’examen de sa proposition. En l’état, il est difficile de se prononcer. Comme le faisait remarquer le journaliste Stéphane Foucart, « qu’en penser ? Que l’épidémiologie – très délicate à mener sur des populations exposées à de multiples substances – ne permet pas de conclure avec certitude. Dans « cancérogène probable », c’est d’ailleurs tout le sens du mot « probable » » (ici). Mais, l’opposition que ce produit suscite dans la société civile doit conduire les gouvernants européens à une réflexion d’ensemble, à l’instar des doutes qui surgissent ici et là à propos de la politique commerciale commune (voir Politique commerciale commune : sortir de la crise ?).
Il ne s’agit pas de tout remettre en cause, ni d’accuser l’Europe de tous les maux. Néanmoins, comme pour le TAFTA, le glyphosate a fait l’objet d’une initiative citoyenne européenne, c’est-à-dire que plus d’un million de citoyens se sont mobilisés sur cette question et ont dit « non ». Et cela, l’Europe ne peut l’ignorer. Il ne faut jamais oublier qu’on n’arrivera pas à faire avancer l’Europe si elle se construit contre les peuples (voir Europe et citoyens : couple paradoxal).
En fin de compte, cet épisode est surtout révélateur de la défiance dont font l’objet les agences européennes (ici, l’Autorité européenne de sécurité des aliments et l’Agence des produits chimiques). En effet, les trop nombreux scandales sanitaires qu’a connus l’Europe ont révélé les conflits d’intérêt patents entre bon nombre d’experts et les principaux industriels du secteur. Si le lobbying n’est en soi pas répréhensible, et peut même être utile lorsqu’il vient éclairer le décideur public, il ne doit pas conduire à acheter les experts censés être impartiaux (voir Bruxelles et les lobbys : fantasme d’une réalité).
Le cas du glyphosate doit conduire à repenser le rôle des agences, leur composition et surtout leurs liens avec les industriels. Surtout, l’Union européenne doit réfléchir à mieux associer la société civile dans sa prise de décision, en donnant pourquoi pas quelques sièges au sein de ces agences à des associations représentatives. Cela permettrait d’avancer en terme de transparence et de participation.
Voir aussi Glyphosate : Round 2 ?
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