(Statue – Hyde Park – Londres, Royaume-Uni – 2013)
Dans La guerre de Troie n’aura pas lieu, Jean Giraudoux décrit la scène suivante. Les Troyens cherchent à savoir quelle réaction serait la plus appropriée suite à l’attitude des Grecs. Pour les aider dans leurs réflexions, ils demandent conseil auprès d’un homme de loi, Busiris. Et Busiris d’argumenter dans un premier sens, et de délivrer une forte conclusion, l’attitude des Grecs est une insulte et appelle une seule réponse : la guerre. Mais, après avoir été menacé par Hector d’emprisonnement, Busiris délivre un contre-argumentaire tout aussi convaincant, diamétralement opposé au premier. Devant ce revirement et cette malléabilité du droit, Hector s’extasie « Le droit est la plus puissante école de l’imagination. Jamais poète n’interpréta la nature plus librement qu’un juriste un texte de loi. »
Or, cet extrait admirablement écrit connaît un écho certain avec l’actualité. En effet, récemment, les Britanniques ont demandé, à plusieurs reprises, aux Européens « flexibilité et imagination » dans les négociations. Lundi 9 octobre, Theresa May appelait ses partenaires à de la souplesse, juste retour selon elle des concessions distillées dans son discours de Florence.
Cet état d’esprit semble nécessaire pour parvenir à un compromis à même de satisfaire les exigences contradictoires des Brexiters (voir Brexit ou l’impossible unité ?). En effet, les objectifs diamétralement opposés entre eux constituent le nœud du problème. Toutes les nuances du Brexit sont représentées dans le Gouvernement de Theresa May, et à chacune correspond presque une ambition personnelle. Il serait si simple que le Royaume-Uni veuille quitter purement et simplement l’Union européenne. Cela faciliterait grandement les négociations. Toute la difficulté vient que le Royaume-Uni souhaite à la fois bénéficier des avantages de l’Union européenne (marché intérieur, programme recherche, …) sans appartenir à celle-ci. Après tout, le Royaume-Uni a clairement indiqué son intention d’avoir le beurre (ce fameux « partenariat profond et spécial ») et l’argent du beurre (le Brexit).
Ces orientations contradictoires empêchent de définir la stratégie britannique autour de la dichotomie hard / soft, mais s’inscrivent dans un véritable « flou » (voir En avant pour le « flou » Brexit). Le discours prononcé par Theresa May en septembre 2017 a certes permis quelques avancées sur le court terme (ex : période de transition, participation au budget, …), moins à long terme où les Britanniques continuent d’espérer un traitement singulier. Néanmoins, ce discours, plus qu’une volonté d’apaisement, répondait aux inquiétudes des entreprises au Royaume-Uni (voir Brexit : le primat de l’économie).
Le droit, et particulièrement le droit de l’Union européenne, a toujours été un instrument malléable. Il peut parfois être déformé pour remplir des objectifs politiques (voir Droit de l’Union européenne : un « droit exorbitant du droit commun » (1/2)). Mais, il ne peut ni ne doit aboutir à offrir à un Etat un traitement de faveur. L’Union européenne ne pourra donc, sauf à accepter son autodestruction, accepter de satisfaire les exigences du Royaume-Uni. Il ne s’agit pas de refuser toute négociation ou de se fermer à tout compromis. Il s’agit simplement d’accepter de défendre l’intégrité du projet européen. Ce dernier souffre déjà assez du détournement par certains Etats qui ne l’envisagent que derrière un aspect financier (voir Hongrie, Pologne, Roumanie : à l’Est du nouveau).
Les choses sont donc assez simples. Si Le Royaume-Uni veut accéder au marché intérieur, il doit, comme les autres, Norvège et Suisse en tête, contribuer au budget et respecter le droit de l’Union européenne. Pour ce dernier point, cela passe par une compétence particulière pour la Cour de justice (voir Un Brexit sans Cour de justice ?).
Étrangement, en prenant la direction d’un large accord avec l’Europe, le Royaume-Uni risque de se retrouver dans une situation juridique assez similaire avec celle qu’il connaît actuellement, tout en y perdant son droit de vote et son rabais (voir L’après Brexit : l’accord commercial 2/2).
Après tout, comme l’a brillamment écrit Georges Osborne, meilleur éditorialiste que politique, dans The Evening Standard « le Royaume-Uni travaille actuellement dur à prouver que nous pouvons recréer ce que nous avons déjà. ». Burisis a trouvé ses héritiers !
Sur le Brexit, vous pourrez retrouver de nombreux articles ici.
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