Un Brexit sans Cour de justice ?

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(Plafond de la Cour de justice – Luxembourg, Luxembourg – 2012)

Les négociations sur le Brexit n’ont officiellement démarré que le 18 juin et devront s’achever au plus tard, le 29 mars 2019.

Il est possible toutefois que certaines questions demeurent non-résolues à l’issue des négociations, compte tenu des divergences entre les prétentions du Royaume-Uni et celles de l’Union européenne. Les points de tensions ne manquent pas : le devenir des citoyens européens, l’accès au marché intérieur, le règlement financier. Le risque ? Faire achopper l’ensemble des négociations.

Récemment, certains auteurs ont plaidé pour résoudre ces éventuels contentieux auprès d’une juridiction ad hoc, en tout cas hors de la sphère européenne (par exemple, M. André Sapir plaide pour la Cour permanente d’arbitrage). Ce choix de distanciation s’explique aisément. Il s’agit d’éviter tout soupçon de partialité que pourrait encourir la seule Cour européenne compétente, la Cour de justice. Elle correspond en outre à une volonté maintes fois exprimée des Britanniques de s’extraire de la compétence de la Cour, et a d’ailleurs été rappelée par Theresa May lors de son discours du 17 janvier sur le Brexit. A ce titre, il apparaît a priori difficile d’imaginer le Royaume-Uni accepter que cette Cour puisse trancher un différend, surtout s’il comporte des aspects financiers. L’Europe résonne encore des mots de Margaret Thatcher « I want my money back ».

Néanmoins, une telle solution, certes intéressante d’un point de vue théorique, s’inscrit à rebours du droit applicable au cas présent, le droit de l’Union européenne.

En effet, les traités interdisent expressément le recours à une autre juridiction pour résoudre les différends nés du droit de l’Union européenne. L’hypothèse d’un retrait d’un Etat membre est certes exceptionnelle. Cependant, elle s’inscrit dans le cadre prévu par ces mêmes traités, en l’occurrence, l’article 50 du Traité sur l’Union européenne. Ces traités, est-il besoin de le préciser, ont été ratifiés par le Royaume-Uni. Celui-ci ne pouvait donc ignorer qu’il avait accepté la compétence de la Cour sur cette question. Les conséquences d’un tel retrait devraient donc uniquement relever du ressort de la Cour de justice.

Cela se justifie d’autant plus que la vraie « gardienne des traités » est bien la Cour de justice à qui échoit cette mission, étant chargée de l’interprétation définitive des volontés inscrites dans les traités européens.

D’ailleurs, il est à noter que celle-ci s’est dotée d’un conseiller spécial sur le Brexit, en la personne de M. Kieran Bradley pour suivre les évolutions. Preuve que du côté de Luxembourg, on se prépare à entendre parler du Brexit un jour ou l’autre.

Cette intervention de la Cour de justice semble, de toute façon, indispensable compte tenu des dérogations nombreuses qui seront demandées par le Royaume-Uni. Il s’agira de s’assurer qu’elles ne soient pas de nature à porter atteinte aux spécificités du droit de l’Union (primauté, effectivité…). Ce contrôle a posteriori est de nature à constituer un frein puissant aux velléités britanniques puisque la Cour reste un acteur vigilant de la construction européenne.

Une censure, notamment partielle, est loin d’être une hypothèse négligeable. Il suffit pour s’en convaincre de se rappeler le traitement réservé à l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme, qui dépend du Conseil de l’Europe. Après deux années de négociation, l’accord a été rejeté par la Cour de justice dans un avis remarqué de 2014. Motif : il contrevenait notamment au monopole d’interprétation de la Cour de justice, mais aussi à l’autonomie du droit de l’Union. Ces arguments dans le cas du Brexit pourraient compliquer la sortie ordonnée du Royaume-Uni.

L’examen de l’accord final sur le Brexit par la Cour de justice sera, à n’en pas douter, riche d’enseignements autant que de surprises.


Sur cette thématique, voir aussi Brexit : à quand une intervention de la Cour de justice de l’Union européenne ? et Juridiction post-Brexit : vers un marché de dupes ?.

De nombreux autres articles sont disponibles sur le Brexit.

Par ailleurs, voir le récit consacré à la Cour de justice : Luxembourg, la Cour de justice et le paradis perdu

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