(Allée des éléphants – Angkor, Cambodge – 2014)
Dans sa Note introductive précédant Les Racines du ciel, Romain Gary écrit ces très beaux mots : « Je crois à la liberté individuelle, à la tolérance et aux droits de l’Homme. Il se peut qu’il s’agisse là aussi d’éléphants démodés et anachroniques survivants encombrants d’une époque géologique révolue. Je ne le pense pas. » On retrouve d’ailleurs l’idée à l’intérieur même du roman : « Il me cria que toute cette campagne pour la protection de la nature n’était, au reste, qu’une diversion pathétique, et que si le communisme triomphait en Afrique, les éléphants seraient les premiers à être pendus ; il mit les mains dans ses poches et me demanda sarcastiquement si je savais que les éléphants étaient en réalité les derniers individualistes – oui Monsieur – et qu’ils représentaient, paraît-il les derniers droits essentiels de la personne humaine, maladroits, encombrants, anachroniques, menacés de toutes parts, et pourtant indispensables à la beauté de la vie. »
A l’heure où l’Assemblée nationale débat du projet de loi censé une nouvelle fois renforcer la sécurité intérieure et améliorer la lutte contre le terrorisme, cette analogie ne peut manquer d’interpeller.
En effet, les droits de l’homme semblent devenus pour certains dans nos sociétés contemporaines une évolution dépassée. Comme les éléphants, ils apparaissent patauds et lents. Incapables de s’adapter aux nouvelles menaces, ils seraient des auxiliaires en couvrant de leurs principes les actions des terroristes.
Pourtant, comme déjà souligné à plusieurs reprises sur ce blog (notamment L’hystérisation de la réponse : une menace pour la démocratie ?), la démocratie ne peut se réduire au respect du principe majoritaire. Elle est composée tout autant – si ce n’est plus – d’une place particulière pour les droits de l’homme. En effet, c’est par ces droits que l’homme acquiert sa dignité et sa condition.
Or, ceux-ci subissent des attaques régulières et sont sans cesse rabotés au profit d’une hypothétique protection. A considérer les droits de l’homme comme un « luxe inutile », on pourrait bien finir par traiter l’homme comme tel.
Il est profondément dangereux qu’une démocratie se pare au quotidien d’attributs de puissance et de surveillance extraordinaires. C’est tomber dans le piège tendu par ses ennemis. Banaliser l’exceptionnel revient à rendre commun quelque chose qui ne l’est et qui ne devrait jamais l’être. Le plus triste certainement est que cela ne suscite que de faibles protestations.
Dans sa Note précitée, Romain Gary terminait ainsi ses observations sur les droits de l’homme : « Il est possible, bien entendu, que je me trompe et que ma confiance soit une simple ruse de mon instinct de conservation. J’espère bien disparaître alors avec eux. Mais non sans les avoir défendus jusqu’au bout contre les déchaînements totalitaires, nationalistes, racistes, mystiques et idéomaniaques. » Plus qu’un énième discours, un nouveau mantra à accomplir ?
Pour prolonger le plaisir, (re)lire Les Racines du Ciel : une lecture en résonance avec l’actualité
Voir sur ce thème : Etat d’urgence : gilet pare-balle ou camisole de force ? et 2017 : le crépuscule de la démocratie ?.
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