Années Merkel : la raison allemande

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(Reichstag – Berlin, Allemagne – 2012)

« Disons qu’elle (Angela Merkel) instrumentalise l’Europe. Vous voyez pour Adenauer, l’Europe, c’était la rédemption. Pour Schmitt, l’Europe c’était un choix. Pour Kohl, l’Europe c’était une religion. Pour elle, c’est un instrument. » Alain Duhamel

A l’heure où Angela Merkel se représente à nouveau à la Chancellerie allemande, il paraît pertinent de revenir sur ses précédentes mandatures et de tenter de faire un bilan de son action au niveau européen.

L’ère Merkel aura atteint une longévité exceptionnelle. Elle a ainsi côtoyé 4 présidents français différents (de Jacques Chirac à Emmanuel Macron). Mais, plus que son extraordinaire durée, la période pendant laquelle Angela Merkel a présidé aux destinées de l’Allemagne aura été marquée par l’arrivée d’un leadership de l’Allemagne en Europe.

Cette prééminence inédite doit autant aux efforts de réforme allemands menés par son prédécesseur, G. Schröder qu’à l’affaiblissement de la France embourbée dans son absence de réformes et à l’absence du Royaume-Uni de la zone euro.

Ce phénomène survenu indépendamment de la Chancelière a contribué à donner à celle-ci à une position particulière, concentrant les attentes et les critiques. Il convient de ne pas l’oublier au moment de juger sa performance sur la scène européenne.

Malgré les relations glaciales entre Angela Merkel et Jacques Chirac, son mandat aura été rapidement placé sous le signe de l’Europe. En effet, elle a fortement contribué à l’adoption du Traité de Lisbonne, que s’est attribué seul Nicolas Sarkozy.

Pour autant, cet épisode, qui aurait pu être fondateur, est resté isolé. La Chancelière s’est fait plutôt remarquer pour ses décisions à contre-courant de ses partenaires européens.

Deux épisodes majeurs auront émaillé ses derniers mandats : la crise de la zone euro et l’accueil des réfugiés.

Tout d’abord, par son obstination au-delà du raisonnable, la Chancelière allemande a placé l’ensemble de cette zone au bord du gouffre. Il a fallu les efforts diplomatiques conjoints des Présidents français et des directeurs du FMI pour parvenir à la convaincre de ne pas abandonner la Grèce. Le Grexit tant de fois évoqué aurait certainement eu un effet domino qui aurait abouti à l’éclatement de la zone. Cela paraît aujourd’hui très lointain. Mais, les rumeurs furent nombreuses autour de la création d’une fracture au sein de la zone, entre un « euro du Nord » fort et un « euro du Sud » faible (ici par exemple). Il est aujourd’hui indéniable que si l’Allemagne avait consenti plus tôt à intervenir, la zone euro serait plus rapidement sortie de la crise. Trop souvent, l’Allemagne de Madame Merkel a accordé une place démesurée aux règles et à leur respect, ce qui ne permet pas de prendre en compte certains facteurs extérieurs (voir La fin du Pacte de Stabilité : le début d’une nouvelle ère ?). Cette place particulière est partiellement explicable. Dans un échange avec Barack Obama au G7 en 2011 qui lui demandait d’intervenir, Angela Merkel rappelait « Vous me demandez quelque chose que je ne peux pas faire. Ecoutez-moi : c’est vous, les vainqueurs de la seconde guerre mondiale, qui avez voulu l’indépendance de notre banque centrale. C’est vous qui avez imposé à l’Allemagne une Constitution qui interdit d’agir sur la Bundesbank et c’est mon devoir de chancelière de la faire respecter.  Vous me demandez de violer la Constitution que vous avez dictée au peuple allemand. ».

De nos jours, encore, l’Allemagne continue de montrer une sévérité particulière avec la Grèce, sans l’accompagner des mesures nécessaires au véritable rétablissement des finances publiques de ce pays (voir Du Grexit à l’oubli).

De plus, l’Allemagne persévère dans ses réticences à l’égard d’une transformation poussée de la zone euro. Malheureusement, les débats autour des aspects financiers occultent les nécessaires progrès démocratiques  (voir L’euro, à quel prix ?).

Par ailleurs, si le geste d’accueillir les réfugiés syriens est à saluer, force est de constater qu’il a été orchestré seul, sans en référer à ses partenaires européens. Résultat, cette action a considérablement tendu les relations entre les pays frontaliers et a menacé durablement l’espace Schengen (voir Schengen ou la tentation des frontières). Certes, l’Europe, dans son ensemble, s’est montrée incapable de répondre à la hauteur du défi (voir Aylan : le naufrage des valeurs européennes). Toutefois, la précipitation provoquée par la décision d’Angela Merkel n’a pas contribué à un traitement réfléchi de la question. De même, son accord avec la Turquie pour le traitement des réfugiés a eu lieu en bilatéral, alors même que la problématique aurait appelé une concertation collective.

Tout au long de ces années, Angela Merkel incarna, par défaut, un des visages de l’Europe. Face à une Commission européenne transparente et de trop nombreux chefs d’Etat et de gouvernement absents, elle était, de fait, la seule alternative. Sans être une Européenne de conviction, elle était une Européenne de raison. Mais, un projet, comme la construction européenne, ne peut vivre sans un minimum de passion. C’est peut-être ce qu’il lui manque pour être une grande Européenne. Un grain de folie.


Sur ce thème, lire aussi le dossier en 6 volets consacré à Angela Merkel par le journal Le Monde.

Sur ce blog, vous pourrez retrouver plusieurs billets sur les Etats européens, ici.

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