(Plafond – Château de Fontainebleau, 2012)
Bien avant l’accord de partenariat entre les Etats-Unis et l’Union européenne, le TAFTA, d’autres traités européens, et non des moindres, ont connu un parcours difficile (voir Traité de Rome : sexagénaire Europe). Parmi ceux-là, compte tenu des ambitions qu’il portait et du rejet important dont il fut l’objet, le Traité constitutionnel ou Traité établissant une Constitution européenne (TECE), constitue un cas instructif d’échec programmé.
Tout n’était évidemment pas à jeter dans cet accord international d’un genre nouveau. Mais, parti avec de nombreux handicaps, il a échoué à remporter les suffrages par deux fois, aux Pays-Bas comme en France – deux pays fondateurs.
Mort-né, il continue encore d’être décrié en France. La faute à la ratification parlementaire en 2008 de son succédané, le Traité de Lisbonne.
Il faut donc revenir sur les trois temps de ce traité : sa genèse inédite (1), la campagne ratée (2), et l’après-2005 (3).
1) Une genèse inédite :
Suite à la naissance avec douleur du Traité de Nice en 2001, les Etats membres ont – enfin – compris que la méthode intergouvernementale de négociations des Traités était inadaptée. Incapables de s’entendre, ils étaient seulement parvenus à un compromis bancal qui ne résolvait pas l’adhésion à venir de dix nouveaux Etats pour 2004.
Dans le même temps, en 2000, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne voit le jour, soutenue par un consensus dû à une préparation inédite. Un groupe de travail composé de membres des institutions européennes mais aussi de parlementaires nationaux a été chargé de rédiger cette déclaration des droits d’un genre nouveau.
Dès lors, l’idée fait son chemin que le futur Traité – car oui, à peine le Traité de Nice signé, on savait déjà qu’il faudrait un nouvel accord – devra être mis en place par une conférence similaire. Il s’agit en plus d’un Traité censé établir les règles durables de la construction européenne.
Une Convention est donc lancée. Convention dont les parallèles seront nombreux avec celle illustre de Philadelphie qui mit sur pied la Constitution américaine. Et c’est bien là l’une des premières erreurs de ce projet titanesque. Valéry Giscard d’Estaing, déjà dépassé par l’actualité, s’est retrouvé propulsé en Président de cette Convention. Aigri de sa défaite de 1981, le voilà qui pensait pouvoir occuper les habits seyants de Thomas Jefferson et pourquoi pas, d’être intronisé plus tard comme le premier Président de cette Europe refondée.
La feuille de route semble simple. Etablir les règles durables de l’Union européenne. Mais, déjà, un codicille est ajouté. Il s’agit de mettre en place le cadre normatif pour l’avenir, tout en gardant l’existant. Et c’est bien là aussi une erreur qu’entretiendront différents partis antieuropéens. L’idée que ce Traité met en place de nouvelles règles, là où il se contente souvent de reprendre l’existant. Ainsi, les règles sur la concurrence existent depuis le premier Traité, celui de Rome en 1957. Néanmoins, vu que ce futur accord a pour but de remplacer tous les Traités existants, il faut les reprendre. Certains argueront que de telles règles n’ont pas à se retrouver dans une Constitution. Le débat est légitime. Pour autant, malgré sa dénomination trompeuse, il n’est pas certain que ce Traité puisse être qualifié de Constitution. Ce n’est pas parce que vous appelez votre chien un chat qu’il devient naturellement un chat.
Bon an, mal an, ce traité fut rédigé par cette Convention et adopté par les Etats qui lancèrent la campagne de ratification. Certains Etats, pour des considérations constitutionnelles (ex : Irlande) ou politiques (ex: France), décidèrent de soumettre ce Traité à un référendum.
2) Une campagne ratée :
Sans s’étendre à nouveau sur les considérations relatives au référendum (voir Le référendum, outil démocratique ou arme populiste ?), l’idée d’un référendum n’allait pas de soi en France.
En effet, outre un précédent mitigé en 1992 avec le Traité de Maastricht, remporté de justesse, la campagne référendaire nécessite quelques présupposés importants. En premier lieu, l’action référendaire étant entre les mains du Président de la République, celui-ci ne la choisit que lorsqu’il jouit d’une certaine popularité. Il serait trop tentant sinon de détourner cette occasion pour manifester son opposition au pouvoir en place. Deuxièmement, le référendum nécessite plus qu’une élection des porte-voix puisque cette fois, on n’élit pas une personne, mais une idée ou un projet. L’incarnation est donc particulièrement importante.
A cet égard, est-il besoin de rappeler que Jacques Chirac, élu sur un aléa démocratique en 2002, était majoritairement rejeté par la population. Au demeurant, la campagne a été menée par Valéry Giscard d’Estaing, ayant dépassé l’âge canonique. De plus, les chefs de partis pro-européens se sont généralement engagés à demi-mot. Nicolas Sarkozy était déjà intéressé par 2007, François Hollande était dépassé par les divisions de son parti sur l’Europe (voir La gauche française et l’Europe : une histoire de plan B). Ce n’est pas tant la pugnacité des contempteurs de ce traité, mais bien l’engagement à reculons des défenseurs de cet accord qui a fait pencher la balance.
A ces problèmes politiques internes, il faut ajouter la situation particulière au niveau de l’Union européenne. L’année auparavant, dix nouveaux Etats, 8 territoires à l’Est et 2 îles au Sud, rejoignaient la construction européenne. Cette adhésion massive répondait au sentiment de culpabilité des Européens de l’Ouest vis-à-vis de leurs voisins, abandonnés des années durant de l’autre côté du « Rideau de fer ». Néanmoins, pas un instant, les gouvernements ou les institutions européennes prirent la peine d’expliquer l’arrivée des nouveaux venus. Cet élargissement, auquel s’est ajouté l’enregistrement de la candidature de la Turquie, a contribué à la défiance des populations à l’égard d’une construction européenne qu’ils ne comprenaient plus. Pire, ces nouveaux membres ont été l’objet de nombreux fantasmes et peurs, mal-défendus par les pro-Européens. Par ailleurs, c’est à cette même époque que le nouveau Président de la Commission d’alors, José Manuel Barroso a insisté pour mettre en place une directive audacieuse, la directive Bolkenstein. Dénotant déjà une absence peu commune de sens politique (allègrement dépassé depuis voir L’affaire Barroso : retour sur un immense gâchis), le maintien de ce projet a contribué à déconsidérer la construction et à assimiler l’Europe à une vision ultralibérale qui détruirait le modèle français d’Etat social (voir L’Union européenne n’est pas ultralibérale)
Dès lors, malgré les sondages un temps positifs, ce qui devait arriver, arriva. Et le Traité établissant une Constitution européenne fut rejetée à plus de 55% en France. Or, sans parler de la simplification institutionnelle nécessaire, mais incompréhensible pour le non-initié, ce traité si décrié garantissait la première Charte des Droits Fondamentaux au niveau européen, en interdisant aux États d’utiliser l’Europe pour dérèglementer les services publics et en garantissant davantage de droits aux individus. C’est donc cette Europe-là qu’on rejette, au moment même où elle devient politique et sociale. Mais, chez certains, la préservation du statu quo semble l’option idéale. Plutôt la totalité de rien que la moitié de quelque chose.
3) L’après-2005
Contrairement à l’un des arguments avancés par une partie de la gauche, en cas de rejet de ce Traité, il n’y avait pas de plan B. Au demeurant, certains Etats comme l’Espagne avaient ratifié ce Traité à une large majorité et ne voyait pas pourquoi l’opinion de leur peuple devrait être ignorée. Dès lors, suite à cette consultation, l’Europe s’enlisa dans des débats byzantins, incapable de trouver une solution à la crise existentielle qu’elle traversait – déjà !
Finalement, l’éclairci vient d’un « mini-traité » négocié entre gouvernements en quelques semaines en 2007 le Traité de Lisbonne, sur les cendres de la défunte Constitution. Ce traité fut ratifié en France par la voie parlementaire en 2008. Or, nombreux sont ceux qui considèrent que cette adhésion est une atteinte à la décision du peuple français de 2005. Il faut toutefois souligner que Nicolas Sarkozy – qu’on soit partisan ou non – avait clairement indiqué dans son programme présidentiel sa volonté de ratifier par voie parlementaire un « mini-traité ». Elu grâce ou malgré cette proposition, il était logique qu’il mette en oeuvre cette disposition.
Certains trouveront qu’il ne s’agissait pas d’un mini-traité. Si l’appellation est certes trompeuse, elle n’en demeure pas moins assez juste d’un point de vue proeuropéen. Contrairement à ce qui a été dit, bon nombre des dispositions contenues dans le TECE étaient déjà présentes jusqu’alors. Le Traité de Lisbonne a, à cet égard, réalisé essentiellement un travail de toilettage. La différence majeure entre ces deux traités est la disparition des aspects symboliques. Fini les lois européennes, fini la mention des symboles de l’Union européenne (drapeau, devise, hymne), fini la mention d’un ministre des affaires étrangères de l’Union européenne.
Si le Traité de Lisbonne garde le flacon du TECE, force est de constater que l’ivresse a disparu. Constitution au rabais de l’Europe, il n’aura jamais suscité réellement d’adhésion populaire, ni fait taire la crise que traverse l’Europe.
L’heure est peut-être venue d’ouvrir une nouvelle page, et de tourner définitivement le chapitre du 29 mai 2005.
Sur le Traité qui était censé le remplacer, voir Traité de Lisbonne : quel bilan 10 ans après ?
Voir aussi sur le thème de l’Europe et des peuples : Europe et citoyens : couple paradoxal et Référendums et Union européenne : la construction européenne à l’heure de la souveraineté populaire
8 commentaires Ajouter un commentaire