Brexit : année 0

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(London Eye, Londres, 2011)

C’était il y a un an. La presse britannique eurosceptique louait la soudaine liberté retrouvée de son pays. En Europe, les mouvements populistes se félicitaient de la fin annoncée de cette construction européenne décrite comme la prison des peuples 2.0. Ne parlait-on pas alors d’ « UERSS » ? Le premier domino venait de tomber. Les autres ne tarderaient pas à suivre. C’était écrit. Cela tombait bien, l’année suivante des élections avaient lieu dans au moins 3 des pays fondateurs (Pays-Bas, France et Allemagne). L’occasion était trop belle de reproduire le phénomène. Encore une fois, les Anglais avaient tiré les premiers. Que pouvaient faire les Européens si ce n’est se lamenter sur l’unité perdue ?

Il est étonnant de voir combien le panorama catastrophique ou triomphant selon le point de vue considéré a souffert du passage du temps.

Où sont les triomphateurs du Brexit ? Nigel Farage se plaît à percevoir ses rémunérations à Bruxelles. Boris Johnson continue à amuser la galerie. Quant aux mouvements populistes qui attendaient de recevoir les retombées du Brexit, ils en sont pour leur frais (voir Les populismes à l’épreuve de l’Europe). Le passage du premier tour par Marine Le Pen ne doit pas cacher son faible score au second tour, alors que son allié néerlandais échouait dans sa conquête du pouvoir. Ces événements ont montré le plafond de verre que constituait la question européenne, plafond de verre renforcé depuis le Brexit. Loin de montrer la marche à suivre, le Brexit a donné l’exemple à ne pas reproduire. Un an après, la seule figure politique qui avait su émerger avec le Brexit vient d’échouer à remporter une victoire annoncée (voir Brexit : l’inconséquence électorale). Au même moment, la croissance semble marquer le pas, devant l’incertitude complète dans laquelle se retrouve l’économie britannique. Comme le signalait très justement l’économiste Barry Eichengreen dans sa tribune au journal Le Monde, Brexit : La revanche des experts, s’appuyant sur une citation d’un autre économiste, Dorbusch,« une crise met beaucoup plus de temps à arriver qu’on ne le pense et se produit ensuite beaucoup plus vite qu’on ne l’aurait cru ». C’est aussi vrai pour le Brexit. »

De plus, le Brexit a, semble-t-il, agi comme un coup de fouet pour une sphère bruxelloise habituée à gérer un projet, non à le faire avancer. Soudainement consciente que cette construction politique pouvait être mortelle, la mobilisation a été générale.

Faisant preuve d’une très – trop – rare unité, les Européens ont su faire taire leurs différends, s’accordant autour d’une feuille de route commune en un temps record. L’objectif ? Afficher la force de leur cohésion. Il est vrai que l’union des Européens a été facilitée par les hésitations, les errements britanniques qui ont fait prendre conscience aux plus anglophiles que manifestement, les Britanniques vivaient dans un « autre monde ». Seule la dure réalité pourrait les ramener à quelque chose de plus raisonnable.

Conséquence ? Ce sont les Britanniques qui rechignent à sortir. Les deux ans – délai fixé par l’article 50 du Traité sur l’Union européenne – apparaissent soudainement bien courts pour des dirigeants qui ont feint de croire qu’il serait facile de sortir de 45 ans de réglementations – ou ont préféré l’ignorer totalement. A cette impréparation initiale, il faut ajouter le flou qui entoure la stratégie développée par la Premier ministre. Loin d’un plaidoyer pour le « hard Brexit », le discours du 17 janvier a révélé de fortes hésitations (voir En avant pour le « flou » Brexit). Ils ont donc pris leur temps pour déposer leur notification de sortie (voir 3…2…1… Brexit !). Ils viennent récemment d’accepter l’agenda de négociations établi par les Européens : discussions d’abord autour de la sortie, avant d’envisager de parler de la future relation.

En attendant la résolution du Brexit, les Européens se sont enfin résolus à sortir du statu quo, le milieu du gué étant devenu intenable. La Commission européenne et les Etats membres ont lancé, en parallèle, de nombreuses pistes sur le devenir global de la construction européenne, mais aussi sur des sujets thématiques : la zone euro, l’Europe de la défense… Il importe évidemment que toutes ces belles initiatives ne soient pas juste des vœux pieux, rejoignant la longue liste des rapports non-suivis d’effet (voir Les 27 en quête d’un cap).

Il est de coutume que le vainqueur du « Crunch », c’est-à-dire du match opposant chaque année les Français et les Anglais durant le tournoi des 6 Nations, félicite le perdant avec ces mots : « Good game ». Sentence à double sens, puisqu’elle sous-entend à la fois « bien joué » et « vous avez quand même perdu ». On ne peut mieux résumer l’aventure du Brexit. Bien joué, grâce à aux Britanniques, l’Europe avance enfin. Mais, la beauté du geste risque d’avoir quand même pour eux un goût amer.


Pour cette anniversaire du Brexit, deux autres billet suivront :
– le 23 juin : une nouvelle sur le Brexit : Brexit : tragédie shakespearienne ;
– le 24 juin : un abécédaire sur le Brexit : Abécédaire du Brexit 

Par ailleurs, vous pourrez retrouver un petit tour d’horizon des enjeux de ces négociations ici (actualisé en février 2018) : Brexit : quels enjeux ?

Sur le Brexit, voir aussi les billets pour l’an 2 du Brexit :
– Le labyrinthe du Brexit : par où la sortie ?
– Brexit : le revers de la médaille ?
– Brexit : le soap permanent ?

13 commentaires Ajouter un commentaire

  1. simple-touriste dit :

    « Le passage du premier tour par Marine Le Pen ne doit pas cacher son faible score au second tour »

    Faible par rapport à quoi?

    Comment faire quand 100% des médias, des commentateurs, des zintellectuels, des zexperts sont contre vous?

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    1. Il me semble que Donald Trump avait autant, si ce n’est plus, de critiques à son encontre. Il a, malgré tout, gagné.
      Le score de Marine Le Pen est faible, étant donné les projections des sondages. Son débat pathétique a certainement contribué à cette chute.

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  2. SIMPLE-TOURISTE dit :

    « Il me semble que Donald Trump avait autant, si ce n’est plus, de critiques à son encontre »

    Non, pas tout à fair. Trump a été critiqué par les « mainstream media » qu’il critique lui même depuis des années. Mais il y a des pro-Trump.

    Quel est l’équivalent en France de Fox News? De Sean Hannity? De Jeanine Pirro? De Tucker Carlson? De Greg Gutfeld? De Jesse Watters? Et évidemment, de Bill O’Reilly?

    Quel est le Breitbart français? Et le Daily Caller français?

    Donald Trump n’a rien à voir avec MLP, évidemment.

    Donald Trump est connu comme un homme d’affaire, donc quelqu’un qui comprend l’économie. MLP est avocate.

    Donald Trump crée une relation de confiance avec le public. Il est proche du peuple, le courant passe, il n’a pas à se forcer. MLP n’a pas le dixième de son charisme naturel.

    Donald Trump manipule tout le monde. Il joue au poker. Cela passe bien auprès de l’électorat américain qui est assez éduqué et intelligent. Les Américains pensent arriver à décoder Trump. Cela devient un jeu. Rien d’équivalent chez MLP dont le discours est plat, au premier degré. Elle ne manipule rien, elle subit toujours. Elle s’avoue vaincue après le débat avec Macron au lieu de l’exploiter, alors qu’elle avait marqué beaucoup de points. Si elle n’en fait rien, tout est perdu.

    Donald Trump s’appuie sur une tradition intellectuelle libérale-conservatrice bien définie (avec un penchant social qui repousse les purs conservateurs). On sent qu’il est plutôt structuré (avec des incohérences, comme tous les politiciens). Sa pensée ne vient pas de nul part.

    MLP se structure autour de George Marchais, de la CGT, du « gaullisme »… pas de quoi faire rêver. C’est un peu une anti-Trump.

    « Le score de Marine Le Pen est faible, étant donné les projections des sondages. »

    On ne sait que trop ce que valent les sondages. J’attends encore l’explication de la chute dans les sondage du favori des médias pour la primaire de la droite et du centre. Peut-on sérieusement exclure que les sondages soient un outil de manipulation massive de l’opinion?

    « Son débat pathétique a certainement contribué à cette chute. »

    En quoi son débat était mauvais? Sur la forme ou sur le fond? Sur quel sujet était-elle visiblement moins compétente que Macron?

    Tout le monde dit que le débat a été raté mais je ne vois pas en quoi.

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    1. « Non, pas tout à fair. Trump a été critiqué par les « mainstream media » qu’il critique lui même depuis des années. Mais il y a des pro-Trump.
      Quel est l’équivalent en France de Fox News? De Sean Hannity? De Jeanine Pirro? De Tucker Carlson? De Greg Gutfeld? De Jesse Watters? Et évidemment, de Bill O’Reilly?
      Quel est le Breitbart français? Et le Daily Caller français? »

      Je vois ce que vous voulez dire. Après, il existe de nombreux journaux (Minute, Valeurs actuelles, …) pour relayer les thèses du Front national en France. Il n’y a certes pas d’équivalent de Fox News en France. Mais, ces derniers n’ont jamais pleinement soutenu ce candidat, qui a d’ailleurs été très critique à l’encontre de plusieurs de ses journalistes.
      Quant au Breitbart français, il me semble quand même que les sites internets qui reprennent peu ou prou les mêmes sujets ne manquent pas. J’éviterai de les mentionner, mais je pense qu’il n’est pas très difficile de les trouver.

      « Donald Trump n’a rien à voir avec MLP, évidemment.
      Donald Trump est connu comme un homme d’affaire, donc quelqu’un qui comprend l’économie. MLP est avocate.
      Donald Trump crée une relation de confiance avec le public. Il est proche du peuple, le courant passe, il n’a pas à se forcer. MLP n’a pas le dixième de son charisme naturel.
      Donald Trump manipule tout le monde. Il joue au poker. Cela passe bien auprès de l’électorat américain qui est assez éduqué et intelligent. Les Américains pensent arriver à décoder Trump. Cela devient un jeu. Rien d’équivalent chez MLP dont le discours est plat, au premier degré. Elle ne manipule rien, elle subit toujours. Elle s’avoue vaincue après le débat avec Macron au lieu de l’exploiter, alors qu’elle avait marqué beaucoup de points. Si elle n’en fait rien, tout est perdu.
      Donald Trump s’appuie sur une tradition intellectuelle libérale-conservatrice bien définie (avec un penchant social qui repousse les purs conservateurs). On sent qu’il est plutôt structuré (avec des incohérences, comme tous les politiciens). Sa pensée ne vient pas de nul part.
      MLP se structure autour de George Marchais, de la CGT, du « gaullisme »… pas de quoi faire rêver. C’est un peu une anti-Trump. »

      Sur le positionnement idéologie différent entre Marine Le Pen et Donald Trump, je vous rejoins partiellement. Ils avaient notamment une certaine proximité dans la politique étrangère, qui s’est effacée au fil de la Présidence Trump. On pourrait ajouter aussi une volonté d’appréhender les questions économiques et le libre-échange similaire.

      Néanmoins, la proximité se joue surtout au niveau de la façon de mener campagne, en invectivant quasiment l’adversaire et en proférant des fausses informations à un tel degré que le débat n’est plus possible. J’ai eu l’occasion d’en parler ici () et là ()

      « On ne sait que trop ce que valent les sondages. J’attends encore l’explication de la chute dans les sondage du favori des médias pour la primaire de la droite et du centre. Peut-on sérieusement exclure que les sondages soient un outil de manipulation massive de l’opinion? »

      On accorde trop d’importance aux sondages. Mais, je ne les considère pas comme une manipulation de l’opinion (je les évoque là dans un paragraphe : ). La chute de François Fillon est tout simplement du à l’affaire Penelope. Nul complot n’a été nécessaire pour arriver à cette triste fin.

      « En quoi son débat était mauvais? Sur la forme ou sur le fond? Sur quel sujet était-elle visiblement moins compétente que Macron?
      Tout le monde dit que le débat a été raté mais je ne vois pas en quoi. »

      Je ne sais quoi vous répondre à ce genre d’affirmation.
      Sur le forme, c’était désastreux au mieux, AHURISSANT au pire. Entre ses notes éparpillées, ses ricanements excessifs et son envolée avec les deux bras, on a eu le droit à beaucoup de première.
      Sur le fond, c’était un peu moins pire. Mais, à peine. Elle s’est trompée de dossiers, n’a cessé de parler de son adversaire sans jamais évoquer son programme et s »est perdue sur l’euro. Mais, sur la question européenne, j’évoque ici l’obstacle principal à la montée du Front national ( ).
      Ce n’est évidemment qu’un avis personnel. Mais, je crois qu’il a visiblement bien partagé, et même au sein de sa propre formation politique. Je n’ai jamais vu un tel niveau d’amateurisme et d’impréparation.

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      1. simple-touriste dit :

        « Elle s’est trompée de dossiers, »

        Je n’ai pas souvenir de ça. Je pense que c’est une histoire inventée par les « fake stream media » c’est à dire 100 % des média. Je pense qu’elle s’est adressée à l’intelligence (modérée) des téléspectateurs et que c’est passé au dessus de la tête des commentateurs.

        Message de l’administrateur : « Comment discuter avec un homme qui déclare gravement qu’il fait nuit en plein jour ? » Je pense que tout est dit.
        Vous avez manifestement du temps devant vous. Et je suis ravi que mes productions vous inspirent autant de commentaires.
        Néanmoins, si je souhaite un débat ouvert sur le blog, cela exclut le spammage en règles et les phrases déplacées.

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