(Ukrainien – Kiev, Ukraine, 2010)
Célébrer le passé pour ne pas envisager l’avenir, voilà bien le drôle de mantra qui présidera à l’anniversaire du Traité de Rome, signé en 1957. Les cotillons seront de mise, les sourires de façade, l’ambiance glaciale. La crainte de l’avenir paralyse désormais le présent.
Avec pour objectif clairement affiché de mettre en place « une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens », le Traité de Rome était par bien des aspects un accord d’un genre nouveau. Contrairement à son prédécesseur, le Traité de Paris, il était établi notamment pour une durée illimitée. Il faudra attendre le Traité de Lisbonne de 2007 pour prévoir officiellement la possibilité pour un Etat de quitter le projet commun, par l’introduction d’un nouvel article, l’article 50.
De ce traité fondateur, les responsables politiques s’attarderont longtemps sur les succès : le marché unique – le premier au monde – , la politique de concurrence, la politique agricole commune, etc…
Pourtant, le Traité établissant une Communauté économique européenne – son vrai nom – était loin d’arriver dans un contexte favorable.
L’effervescence qui avait présidé à la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier en 1951 était clairement retombée. Pire, le projet d’une Communauté européenne de défense, véritable ambition militaire d’une audace encore aujourd’hui surprenante, avait avorté de justesse suite à une coalition baroque entre gaullistes et communistes en 1954.
Il convenait alors de se projeter à nouveau pour ne pas s’enfermer dans une spirale négative, quitte à sacrifier certaines des avancées de son prédécesseur, le Traité de Paris.
En effet, la répartition des compétences entre la Haute Autorité et le Conseil est désormais réorientée au profit du second. A peine dix ans après la fin de la seconde guerre mondiale, les Etats veulent de nouveau être au centre de la partie. Il est fort probable que plus jamais on ne retrouvera l’élan originel qui a permis le développement d’institutions supranationales puissantes, seules à même de représenter et de préserver l’intérêt collectif (Pourquoi des institutions supranationales dans l’Union Européenne ?)
Malgré le penchant plus interétatique de l’accord, le Royaume-Uni préféra une nouvelle fois passer son tour, regardant avec dédain cette construction qui selon lui – dans une grande capacité de prospective – ne fonctionnerait jamais.
Ce traité fut loin d’être suffisant. De nombreux points demeurèrent non-abordés, reflets d’une certaine époque : la place d’une Assemblée européenne alors composée par des délégués des Parlements nationaux, la légitimité de la Commission européenne, l’association des citoyens au projet européen, la question des droits fondamentaux, … Tout ceci donna naissance une vingtaine d’années plus tard au concept de « déficit démocratique », et à une fracture encore ouverte entre l’Europe et ses citoyens (Europe et citoyens : couple paradoxal).
S’il marqua un tournant dans la construction européenne, il ne fut donc qu’une étape dans le projet européen. Il y a bien sûr les traités qui suivront, comme le Traité de Maastricht de 1992 mettant en place une citoyenneté européenne et une monnaie commune. Il y a aussi, très important, et pourtant plus méconnu, la consécration par la Cour de justice de l’Union européenne en 1963 et 1964 des principes d’effet direct (application des normes européennes en droit interne) et de primauté (supériorité des premières sur le second). Ces apports ont certainement permis de consolider l’effectivité du projet européen.
Aujourd’hui, le cap de la soixantaine est passé. L’Europe a pris quelques rides. Elle est certainement moins attirante qu’à ses premiers jours. Confrontées à la réalisation du projet, certaines illusions ont disparues.
Dès lors, que retenir de ce Traité ?
Une ambition : construire l’Europe ; et une méthode : avancer pas à pas. A cet égard, le projet européen se déploie pleinement autour du triptyque décrit par Henri Ford : « se réunir est un début ; rester ensemble est un progrès ; travailler ensemble est la réussite. » Si l’ambition demeure, la méthode doit désormais changer.
Le plus important avec le Traité de Rome était avant tout de conjurer le passé pour envisager ensemble l’avenir.
Comme le rappelait le philosophe Edgar Morin dans Penser l’Europe, le projet européen « n’émerge nullement du passé qui le contredit. Il émerge à peine du présent car c’est le futur qui nous l’impose ».
Si le passé est – définitivement ? – remisé au placard, l’avenir reste encore largement à écrire.
Sur ce thème, voir aussi Les 27 en quête d’un cap et L’Europe, et maintenant les idées ?
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