La justice dans la séparation des pouvoirs

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(Panthéon – Paris, France, 2011)

Fière de sa Révolution, la France post-1789 n’a pas tardé à intégrer à son temple dédié à la mémoire des plus illustres de ses concitoyens, l’ensemble des Lumières. Ces philosophes du XVIIIe siècle ont plus qu’inspiré pas moins de deux événements majeurs, la Révolution française de 1789 bien entendu, mais aussi l’indépendance américaine de 1776.

Pourtant, alors que Diderot, Rousseau et Voltaire jouissent de la splendeur des caveaux du Panthéon, Montesquieu alias Charles Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu continue de reposer seul à l’Eglise de Sainte-Sulpice.

Ces quelques kilomètres de séparation pourraient ne pas sembler grand chose, mais sont révélateurs de la défiance que continue d’incarner Montesquieu aux yeux de bon nombre de responsables politiques.

En effet, Montesquieu apparaît comme un libéral, véritable promoteur d’une séparation des pouvoirs au pays de l’Etat tout puissant et de la volonté générale si chère à Jean-Jacques Rousseau.

« Nul n’est prophète en son pays », met en garde le proverbe. Et c’est donc logiquement dans d’autres contrées, que la pensée de Montesquieu est encore la mieux appliquée. Généralement, sa mise en oeuvre se traduit par un pouvoir judiciaire puissant.

En France, l’hypothèse d’un tel pouvoir dérange. Récemment, les défenses concomitantes de François Fillon et de Marine Le Pen face aux accusations d’emplois fictifs ont visé principalement à remettre en cause l’intervention des juges. Ce n’est certes pas la première fois que les hommes politiques jettent le doute sur la justice qui tente seulement de remplir son office. Mais, la question a pris une tournure particulière à quelques mois de l’élection présidentielle de 2017.

Ces attaques témoignent de façon plus générale de la mauvaise image en France de la justice, au mieux décrite comme une  « autorité » d’après le titre VIII de la Constitution, au pire vue comme un simple auxiliaire de la loi.

Sans aller jusqu’à constituer un gouvernement des juges, la justice est pourtant bien un pouvoir à part entière, aux côtés du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif.

Or, si les pouvoirs doivent être distincts les uns des autres, comme le rappelle l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, cela ne signifie pas que chaque pouvoir a sa bulle étanche. En effet, contrairement à une interprétation trop fréquente, Montesquieu n’invite pas à une séparation stricte des pouvoirs, mais à un balancement entre les pouvoirs. Comme indiqué dans De l’esprit des lois, « il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ».

Dès lors, il est tout à fait normal que la justice puisse enquêter sur les activités des députés, mais aussi sur la réelle probité d’éventuels prétendants à la magistrature suprême. Il faut d’ailleurs rappeler qu’une fois élu au poste de Président de la République, le/la intéressé(e) sera exempté(e) de poursuites et de comparutions devant les tribunaux jusqu’à la fin de son (ses) mandat(s), soit de 5 à 10 ans.

Marine Le Pen, comme François Fillon, ont fait aujourd’hui du peuple français, le juge de paix. En ce domaine, pourtant, ce n’est pas au peuple de trancher. A cet égard,  la formule sacramentem «Au nom du peuple», ornant chaque décision de justice, rappelle que si le peuple n’est pas à apte à assurer toutes les fonctions du pouvoir, ces fonctions doivent être assurées dans son intérêt. Ici, c’est bien à la justice de faire son office, indépendamment du soutien populaire des intéressés.

Une telle intervention de la justice est certes logique puisque tous les citoyens sont égaux devant la loi. Mais, elle est aussi nécessaire. En effet, le pouvoir des élus exige une responsabilité accrue de ceux-ci quant à d’éventuels manquements dans leur exemplarité (voir Le devoir d’exemplarité des responsables publics).

Et qui mieux que la justice, dont l’indépendance est garantie à l’article 64 de la Constitution, peut s’assurer de cette mission ?

A Montesquieu, la patrie reconnaissante.

Pour aller plus loin :
– Maître Eolas, Pour en finir avec la séparation des pouvoirs
– Frank Johannès, Affaire Fillon. Quelques doutes sur le coup d’Etat institutionnel


Voir sur ce thème : Juge constitutionnel et société : mariage de raison ou divorce ?

Sur un thème voisin, voir Une nouvelle République : encore ?

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