(Parlement – Vienne, Autriche, 2010)
A l’heure où l’Union européenne, véritable concrétisation de l’idéal séculaire d’une Europe unie, affronte la plus grave crise de son histoire, il est intéressant de revenir sur l’une des figures qui incarne encore le mieux le rêve européen et ses limites, soixante-quinze ans après sa mort.
Avant-guerre, Vienne était la capitale culturelle de l’Europe. Cette atmosphère d’effervescence est très bien décrite par l’écrivain Robert Musil dans L’homme sans qualité, où les protagonistes passent leur temps à préparer une cérémonie en hommage à l’Empereur, sans appréhender le danger qui se dessine. Stefan Zweig, écrivain et intellectuel autrichien, polyglotte et voyageur, a été dans une position privilégiée pour assister impuissant au double suicide des Etats européens (1914-1918 et 1939-1945). Après-guerre, l’Européen est comparé par Paul Valéry à un “Hamlet marchant sur des millions de tête de morts”.
Durant cette “guerre de trente ans”, Stefan Zweig fut une des consciences morales du continent, s’opposant avec verve à la militarisation de l’Europe et à la guerre. Cette position lui valut de nombreuses inimitiés dans son pays, à une époque où le nationalisme faisait florès.
Fervent partisan d’une Europe de la culture, proche de l’idée d’une République des lettres, Stefan Zweig, contrairement à certains de ses contemporains (André Malraux, Albert Camus, George Orwell), s’est davantage illustré par ses paroles que par ses actes.
Il y a chez cet homme un positionnement assez ambigu, en perpétuelle contradiction entre ses désirs de paix et son implication concrète, à l’opposé de ces hommes qui se “sont jetés dans l’action pour échapper à la pensée”, comme l’avait finement analysé Hannah Arendt dans La crise de la culture.
Du Brésil où il s’était réfugié, il n’a pu qu’assister, impuissant et extérieur à la répétition du drame, l’autodestruction de sa patrie intellectuelle, l’Europe. Au nouveau naufrage de l’Europe répond le suicide de Stefan Zweig. Jamais alors, cette citation de Paul Valéry n’a semblé plus implacable et appropriée : “nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles.”
Malgré l’absence de certains de ses fils spirituels, l’Europe s’est (re)construite.
Dans son livre-testament Le Monde d’hier – Souvenirs d’un Européen, Stefan Zweig nous décrit la fin d’un monde, le sien, celui d’élites intellectuelles connectées, mais déconnectées des populations. C’est de cette erreur que les Européens d’aujourd’hui doivent se prémunir. Il ne s’agit plus de s’attacher à un monde passé mais de construire ensemble le Monde de demain. Il est là le Projet des Européens.
Il convient d’éviter que ne se concrétise pour la troisième fois ce constat d’E. Grey, secrétaire britannique des affaires étrangères : “les lumières s’éteignent sur l’Europe, nous ne sommes pas prêts de les voir se rallumer.” Un siècle plus tard, l’historien C. Clark, analysant les causes de la Grande Guerre dans Les somnambules ne pouvait que déplorer cet aveuglement : “personne ne souhaitait que cela arrive ; mais, au-delà de cet intérêt commun, chacun défendait des intérêts particuliers.”
Voir aussi Centenaire de la Première Guerre mondiale – Leçons d’histoire 1/2 : Suicide collectif et Centenaire de la première guerre mondiale – Leçons d’histoire 2/2 : paix impossible
Amoureux de la culture ? Vous trouverez d’autres articles sur ce thème, ici.
4 commentaires Ajouter un commentaire