
(Graffiti, Amsterdam, Pays-Bas, 2010)
Hier, le Parlement européen s’est prononcé à une forte majorité pour la ratification du CETA, suscitant un tollé d’indignations sur les réseaux sociaux.
Sans revenir sur les accusations regrettables d’une dictature (un Parlement élu par les citoyens a quand même débattu sur ce Traité avant de se prononcer démocratiquement – de plus amples précisions sur le fonctionnement de l’Union ici), il me semble intéressant de revenir sur certaines des critiques formulées à l’encontre de ce traité plutôt méconnu par les citoyens, y compris par une partie de ses contempteurs.
La section des Décodeurs du journal Le Monde a déjà eu l’occasion de se pencher sur le fond de cet accord, ce qu’il contient, et ce qu’il ne contient pas (disponible là). Globalement, l’analyse me semble correcte, sauf sur un point sensible, le sort des services publics (point 4).
Force est de constater qu’à l’instar du défunt « Traité-constitutionnel », le CETA intéresse le citoyen parce qu’il soulève de nombreux fantasmes et passions.
A cet égard, si le premier cité n’était pas facile d’accès (150 pages de droit européen), le second est bien pire (plus de 2000 pages, entre jargons politiques, débats juridiques et questions linguistiques). On retrouve ici le paradoxe d’une demande d’implication des citoyens sur des sujets éminemment complexes, évoqué dans un billet précédent Europe et citoyens : couple paradoxal.
Or, de nombreux hommes politiques véhiculent intentionnellement ou non des erreurs factuelles sur ce Traité, rendant difficilement lisible la lecture de l’accord.
Plusieurs points ont particulièrement été évoqués.
1) L’exportation de produits alimentaires
Le Canada pourra exporter en plus grande quantité certains produits alimentaires. A la première lecture, les chiffres bruts indiqués peuvent sembler élevés. Mais, il suffit de quelques recherches pour s’apercevoir que ces produits ne sont qu’un faible échantillon face à la production de l’Union. Par exemple, les 100000 tonnes de blé canadien doivent être comparés à la production des 28 Etats : 145 millions de tonnes. Soit moins de 0,1% du marché !
L’inondation annoncée est donc toute relative. Elle est développée à travers un prisme daté, l’image d’Epinal de l’agriculteur français, c’est-à-dire un paysan avec sa charrue face à son champ, dépourvu de moyens face à la lutte qui s’annonce. A croire que la mécanisation n’a jamais bouleversé l’agriculture française.
Cela étant dit, il est possible – et il conviendra d’être vigilant – que certaines petites exploitations déjà en souffrance, puissent être davantage fragilisées par cette arrivée.
2) Les indications géographiques
Actuellement, le Canada ne reconnaît aucune IGP. Ainsi, des produits qu’importe leur provenance peuvent choisir leur appellation. Par exemple, un produit « champagne » n’a pas besoin d’être produit dans la région Champagne.
Avec le CETA, le Canada s’engage à reconnaître 145 IGP. Pour ces cas-là, le Canada interdira aux produits qui ne viennent pas des appellations protégées d’utiliser le nom. C’est certes moins que le nombre total d’IGP protégées par l’Europe, mais c’est assurément mieux que 0. Evidemment, et contrairement à ce qui a été dit par Jean-Luc Mélenchon et Florian Philippot, l’ensemble des IGP reconnues par l’Union européenne continueront à s’appliquer sur le marché européen. Ainsi, un produit en provenance du Canada sur une IGP non-protégée là-bas ne pourra pas être vendu sous la terminologie protégée en Europe.
Il ne s’agit pas de porter atteinte aux assiettes des consommateurs européens, mais de défendre l’exportation des produits européens.
3) Les tribunaux d’arbitrage :
Le CETA révisé institue un mécanisme un peu particulier, différent en de nombreux points des tribunaux d’arbitrage classiques. Sur ce point, voir la coanalyse faite par Le Monde et Correctiv : Au coeur du CETA – Episode 1. Et malgré les améliorations, c’est peut-être ce point qui pose le plus de questions pour la suite.
Dans tous les cas, il convient de préciser que ce n’est pas parce qu’une entreprise privée saisit une juridiction privée qu’elle obtient gain de cause. Depuis l’introduction de tels dispositifs d’arbitrage privé, ceux-ci ont abouti à 356 règlements de litige. Selon les stats de la Cnuced, 37% ont été rendues en faveur de Etats, 25% en faveur des entreprises (avec versement de somme en compensation d’un préjudice reconnu) et 28% des procédures ont fait l’objet d’un arrangement à l’amiable (souvent confidentiel quand à sa teneur).
4) Sur les services publics
C’est ici particulièrement que l’analyse des Décodeurs me semble imparfaite.
En effet, il existe une double notion de service public au niveau européen : les services universels et les services d’intérêt général. Sans entrer dans des débats juridiques autour des différents champs d’application de chaque concept, il me semble que leur exclusion du CETA a une valeur juridique, et non des moindres. La plupart des services publics seront ainsi protégés.
Au demeurant, et c’est une constante du droit, même des services publics futurs pourraient être protégés par cette exclusion. En effet, l’interprétation d’un texte par les juges ne se fait pas seulement au jour de son adoption, mais aussi compte tenu du contexte et de l’évolution de la société. Sinon, bien des avancées n’auraient jamais été permises faute de texte adapté et prévoyant face au futur. Un exemple parmi tant d’autres, le rattachement d’internet comme composante de la liberté d’expression par le Conseil constitutionnel avec la décision Hadopi de 2009, au titre de l’article 11 d’une certaine Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 !
5) L’abaissement des droits de douane
La réduction généralisée des droits de douane ne signifie pas que des produits pourront entrer à n’importe quel prix sur le territoire européen. Certains hommes politiques ont notamment évoqué l’hypothèse d’une concurrence déloyale de la part des entreprises canadiennes. Déjà, il semble utile de rappeler que le Canada ne pratique pas un interventionnisme économique pour soutenir ses entreprises et le pays bénéficie d’une législation sociale plus avancée que certains pays européens. A supposer même qu’une concurrence « déloyale » soit possible, elle relèverait de pratiques de dumping interdites et peut donc faire l’objet de mesures de rétorsion.
Il est possible que d’autres sujets soient soulevés au cours du laborieux processus de ratification du CETA (voir CETA : la fin de la politique commerciale commune ?). Ils seront alors ajoutés à la liste.
Certes, ce traité n’est pas un accord parfait. Il existe effectivement des points qui peuvent légitimement appeler à débat et à discussion. C’est sur ceux-là que les gens devraient se focaliser, plutôt que de reprendre des rumeurs parfois sans fondement aucun.
Il n’est pas à exclure non plus que certains pris individuellement puissent être affectés par un tel accord. Néanmoins, le gain pour la collectivité doit être pris en considération, tout en s’assurant de protéger au mieux les éventuels perdants.
Aurait-on pu trouver mieux ? Rien n’est moins sûr. Un accord international est le fruit d’un compromis entre les Etats participants, ici l’ensemble des Etats membres de l’Union et le Canada.
Faut-il alors vouer aux gémonies ce traité ? Non. Bien qu’imparfait, il constitue un progrès, une première étape plutôt intéressante.
Sur le thème des accords commerciaux, voir TAFTA : chronique d’un échec attendu
Article très intéressant 🙂
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« Déjà, il semble utile de rappeler que le Canada ne pratique pas un interventionnisme économique pour soutenir ses entreprises »
Juste quelques milliards de dollars pour soutenir Bombardier mais à part ça…
http://www.newswire.ca/news-releases/bombardier-over-4-billion-in-public-funds-since-1966-613177623.html
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Les avionneurs sont un secteur par nature soutenu. L’Europe a financé Airbus, les Etats-Unis Boeing, la Chine Comac.
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Comment expliquer le choix de la CE de qualifier le texte d’accord mixte ? Alors qu’il ne reste, il me semble, que 18 mois d’exercice aux Commissaires en place, pourquoi ne pas passer outre les Parlements Nationaux, quitte à se griller… Je ne crois pas au grand élan démocratique de la CE. Alors que Juncker y va de ses déclarations plus que pessimistes sur l’UE, je me demande s’il n’y a pas une volonté générale de révéler au grand jour les dysfonctionnements de l’UE ..
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Il s’agit, il me semble, d’une mesure de bonne volonté destinée à calmer le ressentiment de la population à l’égard d’un accord jugé trop « secret ». De plus, certains Etats considéraient que l’accord en question relevait aussi de leurs compétences.
J’ai pu développer ce point dans l’article CETA : la fin de la politique commerciale commune.
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Merci Nicolas pour votre réponse. Pour continuer la discussion, cet article http://abonnes.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/02/15/le-parlement-europeen-dernier-obstacle-ou-presque-a-l-entree-en-vigueur-du-ceta_5079809_4355770.html dit bien que 95 % de l’accord sera applicable dès avril et la ratification par le Parlement canadien. Ainsi, qu’importe ce qu’en disent les Parlements nationaux, le CETA s’appliquera. Ok, la CE est peut-être de bonne volonté mais pas tout à fait franc-jeu… Il y a cette ambivalence que nous devrons apprendre à dépasser : l’obligation démocratique VS la volonté d’avancer plus vite. Comme si plus d’Europe signifiait moins de Démocratie…
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Merci pour votre retour.
Je me permets une petite précision. Certes, l’accord – dans sa quasi-totalité – entrera en vigueur, sans l’aval préalable des Parlements nationaux. Néanmoins, les Etats se sont mis d’accord sur le fait que si un Parlement refusait, l’ensemble du CETA devenait caduque. C’est donc un risque considérable qui pèse sur cet accord.
Je vous rejoins pleinement par contre sur l’ambivalence à dépasser. Il me semble que le niveau européen est un niveau particulièrement adéquat. Cela demande toutefois de la pédagogie pour rappeler sans d’où viennent les institutions européennes et la contribution que peuvent jouer les citoyens.
Après, je crois qu’il y a aujourd’hui un découplage particulier propre aux accords multilatéraux commerciaux. Je l’expose notamment dans TAFTA – chronique d’un échec attendu. Les développements de ce billet valent pleinement pour le CETA.
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Merci pour ces éléments.
Dernière remarque : alors que la campagne présidentielle va battre son plein, l’Europe ne sera jamais aussi absente des discours politiques. J’ai consulté votre agenda d’articles et vous ne prévoyez pas d’analyse comparée des programmes. Vous souhaitez peut-être situer vos articles au-dessous des vicissitudes des Présidentielles, toutefois j’y trouverais personnellement un très grand intérêt.
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Effectivement, je n’avais pas prévu à l’origine de procéder à un tel panorama. Mais, je trouve l’idée intéressante. Je tâcherai de produire un billet dans le courant du mois de mars.
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Comme vous l’aurez peut-être déjà vu, j’ai tenté de comparer les différents programmes des candidats sur l’Europe :
Election présidentielle : l’Europe, combien de divisions ?
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