Europe et citoyens : couple paradoxal

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(Escalier – Ljubljana, Slovénie, 2010)

2017 est l’année-anniversaire de trois traités européens majeurs. Le Traité de Rome de 1957 établissant une Communauté économique européenne. Le Traité de Maastricht de 1992 mettant en place l’Union européenne. Le Traité de Lisbonne de 2007 réformant l’ensemble des institutions européennes.

A chaque étape de la construction européenne, la place des peuples n’a cessé de s’accroître. Pourtant, le gouffre entre l’Europe et les citoyens progresse continuellement.

Comment expliquer ce paradoxe ?

La célèbre phrase de Paul Valéry sur la politique offre un parallèle intéressant à faire avec l’Europe. L’une comme l’autre furent “d’abord l’art d’empêcher le peuple de se mêler de ce qui les regarde”. On y ajouta par la suite “l’art de les contraindre à se mêler de ce qu’ils n’entendent rien.”

Tout d’abord, l’Europe fut longtemps un cénacle réservé aux politiques et aux hauts fonctionnaires. Elle avait certes pour but ultime d’“unir des peuples”, mais elle commençait par “coaliser des Etats”. Il s’agissait d’un but éminemment louable, sur lequel toutefois le peuple ne fut jamais consulté au départ. A l’origine, la construction européenne se fit non contre les peuples, mais sans eux.

Cet écart entre les intentions et les moyens pour y parvenir fut qualifié dans une formule qui devait faire florès de “déficit démocratique”. Aujourd’hui, encore, la moitié des responsables reprennent à leurs comptes cette expression qui n’a pourtant plus de réalité (voir notamment les billets consacrés Le fonctionnement de l’Union pour les profanes et La revalorisation du Parlement européen : quel bilan ?). En effet, pour résumer, l’Union européenne a développé à la fois une protection des droits fondamentaux élaborée et a valorisé le rôle du Parlement européen, directement élu par les citoyens. 

Or, justement, deuxième moment de la construction, l’Europe a voulu associer les citoyens à sa construction. Elle a donc sollicité leurs avis. Elle découvrit alors avec stupeur l’écart entre ses intentions et les résultats aux différentes consultations : faible participation aux élections européennes, rejets répétés des textes à connotation européenne.

Est-ce que tous ces textes étaient mauvais ? On peut en douter. Mais, beaucoup de ces textes ont fait l’objet d’une profonde incompréhension. Le Traité constitutionnel de 2005 fut l’acmé du gouffre entre le peuple et la majorité de la presse et des responsables politiques.

Pour l’essentiel, ce texte reprenait l’existant (voir Traité constitutionnel : un échec pavé de bonnes intentions). Le reste, les apports justement, allait tous dans le sens de davantage de progrès : reconnaissance des symboles européens, mise en place initiative citoyenne européenne, extension des pouvoirs du Parlement européen, consécration de la charte des droits fondamentaux.

Mais, face à un texte de plusieurs centaines de pages, comment espérer qu’un débat public sain en serait sorti ? Chacun prit position par rapport à ses schémas de pensée. Résultat, ce traité fut rejeté, non pour lui-même, mais pour les peurs et les fantasmes qu’il véhiculait.

Il ne faut pas oublier que le référendum sur la Constitution de la Ve République  ne fut pas gagné suite à la validation des Français à l’égard du texte lui-même ; il était une confirmation envers l’homme qui leur présentait ce texte.

A cet égard, ce qu’il manque pour rapprocher l’Europe de ses citoyens, ce sont des responsables de qualité capables d’être des intermédiaires à la fois porteurs des revendications des seconds et porte-parole des réalisations de la première.


Sur des thématiques voisines : Traité de Rome : sexagénaire EuropeRéférendums et Union européenne : la construction européenne à l’heure de la souveraineté populaire et Déficit démocratique et Union européenne : l’horizon indépassable ?.

18 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Laurent Ramette dit :

    Il me semble que tu as légèrement modifié au détriment de la grammaire la citation de Valéry.Il ne faudrait pas que ton article, très bon par ailleurs, soit décrédibilisé par cette simple étourderie. “La politique fut d’abord l’art d’empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde. A une époque suivante, on y adjoignit l’art de contraindre les gens à décider sur ce qu’ils n’entendent pas.” Paul Valéry        “Regard sur le monde actuel”

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    1. Benoit Plaige dit :

      Excellente analyse, qui montre comment un projet un peu utopique conçu par quelques hommes politiques de l’après-guerre sur l’idée de ne jamais revoir les horreurs passées est devenu une organisation puissante cherchant à s’émanciper de la tutelle étroite des états en gagnant un soutien populaire. Lequel s’est dérobé quand les difficultés économiques et le retour aux égoïsmes nationaux des classes dirigeantes ont refermé le couvercle. La conclusion s’en remettant à des hommes politiques éclairés me laisse dubitatif? Les systèmes politiques ne semblent plus en mesure d’en secréter ces temps derniers!

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  2. andre dit :

    C’est par hasard que j’ai lu votre article. Je m’aperçois que nous avons des vues concordantes; j’ai moi-même, il y a peu, tenté une brève synthèse de mon regard sur l’Europe aujourd’hui. Je vous le livre ici:
    http://asimon.esy.es/blog/2017/03/14/livre-blanc-avenir-sombre/

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