(Palais de l’Elysée – Paris, France – 2012)
Comme à chaque nouvelle élection présidentielle, plusieurs candidats à la Magistrature suprême proposent de changer une fois encore le régime constitutionnel français, suggérant la mise en place d’une Sixième République.
Si les modalités de préparation et de vote du texte, ainsi que certaines des options à y insérer varient selon les candidats, l’ensemble se rassemble autour de la défectuosité de l’actuelle République, la Cinquième.
Il ne s’agit pas ici de nier la crise politique et civique que traverse la France. L’abstention augmente élection après élection. Les extrêmes, tout bord politique confondus, pourraient obtenir un score cumulé supérieur aux partis de Gouvernement.
Toutefois, la question est plutôt de savoir si la réponse à cette crise peut se situer dans une nouvelle Constitution. Ce projet ne constitue-t-il pas plutôt un moyen de cacher une absence de programme ?
On peut en effet douter de l’opportunité d’un changement radical, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, la France se caractérise par une appétence extraordinaire pour le changement de régime. Depuis la Révolution française, la France a à peu près tout essayé : de l’Empire à la République parlementaire en passant par la monarchie constitutionnelle. Pour l’heure, seule la IIIe République a atteint difficilement le cap des 70 ans, la plupart ont rarement dépassé le seuil décennal.
Or, cette régularité au changement ne peut qu’inciter à la prudence quant à un nouveau système censé cette fois répondre aux besoins du peuple. Au demeurant, la plupart des nos voisins ont su conserver leur Constitution, sans susciter autant de débats qu’en France (les Etats-Unis ont la même Constitution depuis 1787 et l’Allemagne depuis 1949).
Ensuite, la France semble avoir trouvé le régime de croisière actuel. Plébiscitée en 1958, façonnée par les épreuves, la Constitution de la Ve République s’approche de la soixantaine. Elle a survécu, sans trop de perturbations, à une tentative de putsch et à la cohabitation. Elle a montré son aptitude à l’exercice du pouvoir.
Plus important, surtout, elle semble parfaitement convenir à certains traits politiques propres à la France. En effet, bien qu’amateur à ses heures de la décapitation de certains rois, le peuple français a un goût particulier pour les monarques. L’aventure napoléonienne – par trois fois, si on compte son neveu – ou plus récemment, l’épisode gaullien, ont su rappeler l’importance d’une figure unique du pouvoir. Après tout, une monarchie, étymologiquement parlant, est le régime où un seul gouverne. C’est avec un certain sens de la formule et de l’analyse que Michel Debré, l’un des pères de cette Constitution avait qualifié le Président façon Ve République : le “monarque républicain”.
De même, la mise en place d’un parlementarisme rationalisé, c’est-à-dire d’instruments pour maîtriser le Parlement (comme avec le “fameux” article 49 alinéa 3 de la Constitution – voir Le recours à l’article 49 alinéa 3, déni de démocratie ?), et l’organisation d’un suffrage universel direct à deux tours, traduisent la volonté d’instituer un régime stable et durable. A cet égard, la Ve République peut s’enorgueillir de n’avoir connu aucune crise politique majeure ni instabilité chronique, à l’inverse de ses prédécesseurs et de certains de ses voisins proches – l’Italie.
Ainsi, doivent être écartés des projets aussi audacieux qu’une proportionnelle intégrale qui risquerait d’aboutir à une paralysie parlementaire ou qu’un mandat révocable pour les parlementaires, qui priverait d’efficacité toute gouvernance. Assurer le pluralisme des courants et maintenir le lien de confiance dans la représentation sont assurément des nobles idéaux. Encore faut-il ne pas se tromper dans la mise en œuvre.
Par ailleurs, il serait impropre de considérer la Ve République comme une seule et même Constitution depuis l’origine. Après tout, Charles de Gaulle, son père spirituel, rappelait qu’une Constitution, « c’est des institutions, un esprit, une pratique ». Aujourd’hui, c’est plutôt d’une “Ve République bis” qu’il conviendrait de parler. Tout en gardant les éléments forts de son caractère, elle a su s’adapter : 5 révisions avant 1992, 19 depuis ! La place des droits de l’Homme a progressé avec la consécration constitutionnelle jurisprudentielle de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, du Préambule de la Constitution de 1946 et de la Charte de l’environnement de 2005, mais aussi de la création en 2008 d’une question prioritaire de constitutionnalité. Le Parlement a vu ses droits renforcés : limitation de l’article 49 alinéa 3 à un texte par session parlementaire ; meilleur contrôle de l’action du Gouvernement. La responsabilité des décideurs publics a évolué : le cas des ministres se trouve aux articles 68-1 à 68-3 et celui du Président aux articles 67 et 68.
Pour autant, il reste encore beaucoup à faire. En effet, la responsabilité des décideurs publics est encore fragile, comme l’a rappelé la délicate affaire Lagarde (voir Le devoir d’exemplarité des responsables publics). Le cumul des mandats est encore une habitude ancrée chez les hommes politiques, au point que l’absentéisme parlementaire atteint des records. Le référendum d’initiative partagée est pour l’heure un échec patent. Quant au Conseil économique, social et environnemental, il vivote tranquillement, à l’abri des regards.
Néanmoins, l’ensemble des réformes nécessaires ne nécessite pas de changer une fois encore de Constitution, ni même de priver la France de certains piliers à la base de son régime républicain.
Changer de République serait une erreur. Aucun texte n’obtiendra le score quasi unanime de la Ve République. Un nouveau texte constitutionnel court juste le risque d’être mal-aimé, défié et oublié, un peu comme la belle mais éphémère Constitution de la IVe République.
Si la France connaît un niveau de défiance sans précédent entre les responsables politiques et la population, la réponse n’est pas dans une nouvelle Constitution. Elle est peut-être plus dans une meilleure application de la Constitution actuelle, qui offre de nombreuses possibilités encore insuffisamment exploitées.
En lien avec cette thématique, voir aussi XVe Législature : l’été des ordonnances ?, Réforme constitutionnelle de 2008 : beaucoup de bruit pour rien ? et Être un parlementaire aujourd’hui.
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Défendre la 5ème république, c’est faire bien peu de cas de la démocratie et avoir peu d’ambition sur ce terrain.
Démocratique la 5ème?
– Le parlement n’est pas représentatif
– Le parlement se positionne quasi uniquement pour ou contre le gouvernement et nonsur les projets: le consensus démocratique ne peut dès lors se faire.
– Le scrutin majoritaire à 2 tours donne une majorité de façade à un homme et un parti mais l’homme élu n’a bien sûr pas plus de soutien réel 15j. après le 1er tour. Comment imaginer que M. Macron est apssé de 24% à 65% de soutien réel en 15 jours ?… et ceci étant acquis, en quoi quoi un homme ayant 24% aurait-il droit d’avoir le pouvoir _tout seul_ en excluant des partis ayant eu quasiment le même score (FN, LR, FI)?
– Le scrutin majoritaire à 2 tours force les gens à voter utile et non selon leurs opinions
– Le parlement peut changer la constitution sans référendum, mais le peuple a besoins de l’aval du parlement pour changer sa constitution. Qui représente qui exactement?
Stable la 5ème?
– il y a eu alternance politique à chaque élection depuis 1981, sauf en 2012 et encore Sarkosy se posait en rupture par rapport à Chirac.
– on vote une loi (les 35h, TEPA, etc.) qu’on défait à la législature d’après
Efficace la 5ème?
– impossible depuis 30 ans de réellement aborder les problèmes de déficits, de réforme de la loi travail ou de la retraite…
– seul moyen d’amender un projet: la manifestation de rue…
Quand au manque d’ambition, on le voit dans 2 phrases « le peuple français a un goût particulier pour les monarques » et « Ainsi, doivent être écartés des projets aussi audacieux qu’une proportionnelle intégrale qui risquerait d’aboutir à une paralysie parlementaire ». Sur la première, on peut en discuter longtemps, mais je l’interpréterais en sens inverse. La 5ème berce le peuple dans l’illusion que tout change avec une élection et que le peuple pourra trouver l’homme providentiel résolvant tous ses problèmes. Quant à l’inadéquation de la proportionnelle complète en prenant l’Italie comme exemple, c’est un peu faible. D’une part, bien des pays ont une proportionnelle complète (Allemagne, Pays-Bas, Danemark, Suède, Norvège, etc.) sans blocage. D’autre part, on peut discuter pour savoir si l’Italie est vraiment plus bloqué que la France. Enfin et surtout, on peut avoir plus d’imagination et prendre l’exemple sur la Suisse qui a à la fois la proportionnelle complète et des institutions qui _garantissent_ l’absence de blocage et d’instabilité, et ce qu’elle que soit la configuration du parlement.
Bref, je ne vois pas ce qu’il y a à sauver dans la 5ème et tant qu’à la changer autant adopter l’un des systèmes les plus efficaces, les plus stables et surtout les plus démocratiques qui soit.
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