Le particularisme anglais à l’épreuve du Brexit

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(Chambre des communes, Londres – 2011)

Le Royaume-Uni s’enorgueillit depuis toujours de sa différence. Principal bastion de la conduite à gauche, le Royaume-Uni se caractérise aussi par des spécificités juridiques qui pèsent aujourd’hui dans le bon ordonnancement du Brexit

A l’origine, l’adhésion du Royaume-Uni à l’Union européenne avait été permise par l’adoption d’une loi un peu particulière, la loi de 1972, prise par le Parlement britannique, unique héritier de la souveraineté royale. Au fil du temps, cette loi a contribué à accorder des droits aux particuliers : droit de vote, liberté de circulation, non-cumul des cotisations sociales, … Or, le référendum du 23 juin, consultation populaire, menace ces droits acquis.

C’est dans ce contexte qu’est intervenue la demande examinée par la Supreme Court fin 2016, sur l’obligation ou non pour le Parlement de se prononcer sur l’activation de l’article 50 du Traité sur l’Union européenne, seule disposition prévoyant le retrait d’un Etat membre. En somme, qui peut défaire ce que le Parlement a jadis accordé ?

 Trois traits spécifiques au Royaume-Uni concourent à complexifier cette question : la souveraineté du Parlement, l’absence de Constitution écrite et le dualisme juridique.

Tout d’abord, la souveraineté du Parlement britannique. Il s’agit du point central de la requête déposée devant la Cour. Pour des raisons historiques, la souveraineté au Royaume-Uni n’est pas détenue par le peuple (comme en France, ce qui est notamment rappelé à l’article 3 de la Constitution de 1958), mais par le Parlement. C’est bien celui-ci qui au fil des siècles a gagné son indépendance face à la Couronne, protégeant les droits des individus contre l’arbitraire royal et a permis au Royaume-Uni de devenir la première démocratie parlementaire. C’est d’ailleurs pour cette raison que contrairement à la France ou à la Suisse, il n’existe pas de référendum décisionnel, mais seulement des référendums consultatifs, comme celui du 23 juin.

Néanmoins, si ce point est aussi simple, pourquoi fait-il aujourd’hui débat ? On touche ici à un second aspect du particularisme britannique : l’absence de Constitution écrite. Par Constitution, on entend tout texte qui régit les rapports entre pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire) et garantit des droits aux individus. Le Royaume-Uni ne dispose tout simplement pas d’un tel texte, mais s’appuie sur un agrégat de textes constitués au fil de l’histoire : Magna Carta en 1215, Bill of Rights en 1689, plus récemment la loi de 2011 sur la fin de la primogéniture pour les enfants mâles dans l’accès à la Couronne.

Cette absence de texte unique écrit a permis au pays de faire preuve de souplesse et d’adaptation, ce qui explique les rares révolutions populaires (seulement deux, la Glorieuse Révolution et la Révolution sanglante). Ainsi, le suffrage est devenu universel sans renverser la démocratie.

Pour autant, l’absence de Constitution écrite n’est pas sans défaut. Elle provoque notamment une certaine difficulté pour déterminer le contenu. Déjà, un texte écrit est susceptible de diverses interprétations. A fortiori, un principe non-écrit est soumis à de grandes divergences doctrinales. L’opposition ici se situe justement autour de l’étendue de la souveraineté du Parlement britannique.

Cette omnipotence du Parlement justifie qu’un traité international pour s’imposer dans l’ordre juridique britannique soit nécessairement transposé dans une loi votée par ce même Parlement. C’est là une application classique de ce que le droit qualifie de “dualisme juridique”. A l’inverse, conformément à l’article 55 de la Constitution, la France accepte l’application immédiate de certains traités internationaux (“monisme juridique”).

La loi de 1972 devait tenir compte de la nature particulière de la construction européenne. Elle ne vise pas seulement à transposer le Traité de la Communauté économique européenne d’alors, mais aussi les normes européennes futures qui en découleront.

Or, et c’est là l’enjeu, cette loi a abouti à produire de nombreux droits aux citoyens britanniques, droits qui disparaîtront avec le Brexit.

Sans cette loi, il aurait été certainement possible de se passer du Parlement britannique dans l’organisation du Brexit. Avec, il devient difficile de négliger son rôle. Si le Gouvernement ne peut être lié en amont par le Parlement, le Gouvernement doit rendre compte en aval à ce dernier. C’est ainsi qu’il faut comprendre le vote du 13 décembre 2017, qui a conduit à exiger un droit de regard du Parlement britannique sur l’accord de retrait.

Il est, en tout cas, ironique de voir certains Brexiters dénoncer les prérogatives de leur propre Parlement, après avoir milité notamment pour sortir de l’Union dans l’objectif revendiqué de rétablir les pouvoirs de ce même Parlement.

L’expression du peuple dans un référendum consultatif vaut-il affranchissement des règles pluricentenaires sur le pouvoir du Parlement ? On peut légitimement en douter, mais ce sera à d’autres de trancher au final cette épineuse question.


Le Brexit est un événement majeur. Vous pourrez trouver plusieurs billets pour décrypter ce tournant ici et notamment une présentation des principaux enjeux (voir Brexit : quels enjeux ?)

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