Brexit : à quand une intervention de la Cour de justice de l’Union européenne ?

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(Cour de justice de l’Union européenne, Luxembourg – 2012)

Il était un point non-traité sur ce blog car il me semblait inconcevable : l’éventuelle saisine de la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après, CJUE) par la Supreme Court dans le cadre de la requête sur le rôle du Parlement britannique dans le Brexit (voir Le particularisme anglais à l’épreuve du Brexit).

Néanmoins, depuis le référendum en faveur du Brexit, tant de choses qui paraissaient impossibles se sont matérialisées ; le plaidoyer de Boris Johnson, ministre des affaires étrangères britannique, en faveur de l’adhésion de la Turquie dans l’Union européenne n’étant pas le moins suprenant.

Il paraît opportun de rappeler le sujet, avant d’en préciser les enjeux

 Actuellement, saisie d’un appel contre la décision de la High Court confirmant la place du Parlement britannique dans le processus de retrait, la Supreme Court doit examiner si l’expression du peuple dans un référendum consultatif vaut affranchissement des règles pluricentenaires sur le pouvoir du Parlement.

A mon sens, la réponse est évidente. Ce que le Parlement a fait, seul le Parlement peut le défaire, puisqu’il est le seul souverain au Royaume-Uni. Comme l’avait dit le calviniste Colme, “le Parlement britannique peut tout faire sauf changer un homme en femme”. Et encore, aujourd’hui, il y aurait matière à débat sur cette exception.

En plus, contrairement à la peur infondée des Brexiters, le Parlement britannique ne reviendra pas sur la volonté populaire exprimée clairement le 23 juin, mais veut juste avoir son mot à dire sur la question. Au pire, le Parlement s’orientera officiellement vers un Brexit soft. Point de trahison pour autant. D’une part, le peuple ne s’est jamais exprimé sur la portée du Brexit qu’il voulait. Il n’est pas certain d’ailleurs qu’un Brexit hard manifesté clairement aurait remporté les suffrages. D’autre part, les manoeuvres du Gouvernement autour d’une version hard du Brexit semblent davantage être dues à une stratégie de négociation pour obtenir à la fin un Brexit soft avantageux.

Or, au cours de l’appel devant la Supreme Court, certains ont émis l’idée que celle-ci puisse poser une “question préjudicielle” à la Cour de justice de l’Union européenne. Ce terme de “question préjudicielle” renvoie juste au nom donné à la procédure devant le juge européen, saisi par un juge national pour interpréter le droit de l’Union.

Cette idée proposée par certains juristes pour vendre leurs articles dans les gazettes juridiques – tout sujet d’actualité est propice à faire écrire un juriste. Le divorce d’un président de la République en exercice avait suscité à l’époque l’émoi de la communauté, puisqu’il était prévu dans les textes que le Président ne puisse pas passer devant un juge, ce qui inclut le juge des divorces – a été repris par des journalistes.

La question ? L’article 50 du Traité sur l’Union européenne est-il irrévocable ? Autrement dit, une fois lancée, la procédure de retrait est-elle définitive ?

Cette question, il est vrai, n’est pas sans incidence pratique. Si le processus de retrait n’est pas irrévocable, l’intervention du Parlement britannique peut être limitée au dernier moment, à la ratification de l’accord de retrait. A l’inverse, si une fois l’article 50 activé, la procédure est définitive, le Parlement doit avoir son mot à dire dès maintenant. D’ailleurs, le Gouvernement de Theresa May défend la première lecture.

Pour autant, une telle question souffrirait de deux écueils : l’un juridique, l’autre politique.

Déjà, une limite juridique. Certes, l’article 50 ne mentionne pas l’hypothèse d’une annulation en cours. Ce n’est pas pour autant que cet article interdirait de mettre un terme avant l’heure à un retrait. En effet, ce qui prime, ce n’est pas l’absence de lettre mais l’esprit des traités : assurer une “union toujours plus étroite entre les peuples européens”. Dès lors, un pays aurait toujours le droit de changer d’avis et de préférer rester dans l’Union que d’en sortir.

Ensuite, des limites politiques. Une question préjudicielle de la Supreme Court à la Cour de justice aurait d’importantes incidences politiques. D’une part, le temps d’être traitée par la Cour – au moins deux mois, voire plus -, elle retarderait considérablement le processus de retrait prévu officiellement pour mars 2017. D’autre part, elle reviendrait à accorder à une juridiction européenne une influence considérable sur l’organisation institutionnelle du Brexit.

A regarder la campagne de presse à l’encontre des trois juges de la High Court, on peut douter que leurs homologues de la Supreme Court se risquent à une telle décision, qui serait perçue comme une énième provocation de la part des partisans du Bremain.

Pour autant, toute intervention de la Cour de justice dans le processus du Brexit est-elle inenvisageable ? Pas du tout, mais plus tard. En effet, l’accord de retrait du Royaume-Uni, en plus d’être ratifié par l’ensemble des Etats membres, sera certainement soumis à l’appréciation de la Cour de justice, qui devra vérifier qu’il ne contrevient pas aux spécificités de l’Union européenne (primauté du droit de l’Union, autonomie, “union sans cesse plus étroite entre les peuples européens”). C’est cet examen-là qui pourrait être riche d’enseignements autant que de surprises. Mais, il s’agit là de problèmes futurs qui auront tout le temps d’être étudiés lorsqu’ils se présenteront.


Sur la Cour de justice et le Brexit, voir aussi Un Brexit sans Cour de justice ? et Juridiction post-Brexit : vers un marché de dupes ?.

Sur la Cour de justice, voir Luxembourg, la Cour de justice et le paradis perdu

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