La gauche française et l’Europe : une histoire de plan B

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(Soirée électorale – Rue de Solférino, Paris – 2012)

Parmi les mouvances politiques somme toute favorables au projet européen, la gauche est celle qui entretient la relation la plus complexe avec l’Europe.

Cette problématique ne date pas d’hier.

Depuis l’origine, la gauche, y compris celle de gouvernement, a entretenu des relations électriques avec l’Europe, tantôt passionnées, tantôt envenimées.

Le projet européen a débuté par une Communauté européenne du charbon et de l’acier et s’est prolongé rapidement dans une Communauté économique européenne. Cette prédominance de l’économie aux origines n’a pu que rendre malaisé le soutien de la gauche à pareil projet. A cet égard, la position de Pierre-Mendès France – opposition au Traité de Rome en 1957 – est assez symptomatique de cette attitude de méfiance, voire de rejet. Inutile de préciser que le Parti communiste, alors première force de gauche, était résolument contre une entreprise qu’il imaginait dirigée en sous main par les Etats-Unis, en raison de leur regard bienveillant dans le contexte de la menace soviétique.

A côté de l’économie, la construction européenne a tenté de se développer vers la mise en place d’une défense commune (Projet d’une Communauté européenne de défense en 1954). Ce second volet ne devait pas rencontrer davantage l’adhésion de la gauche.

D’une part, le Parti communiste, toujours, ne pouvait être favorable à une entreprise visant explicitement à se défendre face à un ennemi extérieur – en premier chef, l’URSS. La création d’une armée commune avec l’Allemagne ne pouvait que signifier renforcer la cohésion de la partie Ouest.

D’autre part, la gauche, dans son ensemble, était marquée par un pacifisme de bon aloi. Elle ne pouvait qu’accueillir avec gêne, voire distance un projet militaire de défense.

Pourtant, la Présidence Mitterrand – surtout le deuxième mandat – aurait pu être l’occasion de réconcilier définitivement la gauche et le projet européen. En effet, le Président s’était personnellement engagé dans le projet, et notamment sur son volet politique.

Néanmoins, dès 1995, la gauche s’est à nouveau écartée du projet européen. Cet échec d’un rapprochement définitif traduit peut-être l’ancrage tardif du Président pour le projet européen après moult hésitations (le tournant de 1983), voire les considérations électorales de cet engagement.

Pire, depuis les années Mitterrand, la gauche n’a jamais été autant divisée sur la question.

Tout d’abord, la gauche de gouvernement n’a pas su tenir ses promesses sur l’Europe. Lionel Jospin comme François Hollande avaient fait campagne notamment sur la réorientation de l’Europe en général, et la modification d’un Traité en particulier (le Pacte de stabilité pour le premier ; le TSCG pour le second). Tous deux ont échoué. La raison principale provient essentiellement de l’oubli – volontaire ou non – que le projet européen est le fruit d’un compromis entre 28 Etats. Modifier les Traités ou réorienter l’Europe nécessite au préalable de travailler ensemble pour coconstruire un projet commun, pas d’arriver comme un matador, certes pétri de bonnes intentions, mais dans une arène et face à un taureau qu’il ne connaît pas. L’Europe ne peut se décider ou se construire seule. Alexis Tsipras, premier ministre grec, a commis la même erreur en 2015, oubliant que sa légitimité incontestable n’effaçait pas celles tout aussi incontestées de ses interlocuteurs européens.

Ensuite, la gauche d’opposition s’est définitivement coupée du projet européen en 2005 – rejoint alors par une partie non négligeable de la gauche de gouvernement (Laurent Fabius, Bernard Cazeneuve et tant d’autres). Ce rassemblement parfois hétéroclite se caractérise notamment par un programme répété en boucle depuis 2005 : l’existence d’un Plan B pour l’Europe. C’était déjà l’argument pour voter « non »  au projet de « Traité constitutionnel », et encore aujourd’hui dans la bouche de certains responsables comme Jean-Luc Mélenchon, pour évoquer le futur de l’Europe.

Or, ce « f(a/u)meux » Plan B présente deux inconvénients.

D’une part, il n’a jamais été défini. Ce flou lui permet aujourd’hui de catalyser les soutiens puisque chacun peut y apposer ses aspirations. Ces soutiens pourraient toutefois s’effriter si un plan B venait à voir le jour.

D’autre part, le Plan B de la France ne sera pas celui de l’Europe. Encore une fois, l’Europe est le fruit d’un travail construit sur l’acceptation de compromis entre 28 Etats, et non la décision d’un pays appliquée dans les 27 autres Etats. Certes, rien n’interdit de penser une Europe réduite avec des Etats qui ressembleraient davantage à la France. Mais, cette Europe nouvelle resterait tout de même le fruit d’un compromis entre les Etats participants. Pour rappel, le discours du 9 mai 1950 de Robert Schuman avait été présenté préalablement dans ses grandes lignes à l’Allemagne pour recueillir son adhésion préventive.

Il est peut-être temps que la gauche française cesse de considérer l’Europe à partir d’un plan B, et qu’elle envisage enfin de lui accorder la place qu’elle mérite, celle d’un plan A.

Ce plan A, bien sûr, n’empêchera pas la mise en oeuvre de réformes mais ces réformes devront être décidées en commun. L’Europe ne sera jamais une chambre d’enregistrement des orientations françaises. Par contre, la France a une place particulière pour porter les débats au cœur de l’Europe – à charge alors d’être convaincant.

 Seul, on peut avancer vite ; à plusieurs, on peut aller loin.


Voir sur ce thème : Gauches européennes : le renouveau ou la disparitionLa droite et l’Europe : une question de souveraineté ? et Election présidentielle : l’Europe, combien de divisions ?

17 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Brig Pourquoi? dit :

    Concernât projet #FI pour la présidentielle de 2017 le plan B était infiniment plus clair que le plan A

    J’aime

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