(Plafond, Musée de Dali – Figueras, Espagne)
France, 1905. France, 2016. Aujourd’hui comme cent ans plus tôt, la question religieuse avive les passions, la laïcité fait débat.
Pourtant, en 1905 justement, la loi de séparation des Églises et de l’État devait refondre complètement les liens entre l’État et les religions alors existantes. Or, l’idée d’un « chacun chez soi » n’a pas résisté à l’apparition régulière d’incidents : la transfusion sanguine pour les témoins de Jéhovah, le voile à la crèche pour les musulmans, et tant d’autres encore. Les débats plus récents autour du financement de l’islam ou du port du « burkini » sont, à cet égard, symptomatiques.
Ces « mutations du phénomène religieux » – selon la formule d’O. Roy, chercheur au CNRS – dans un contexte général de sécularisation semblent, aux dires de certains, entrer en contradiction avec le régime français de laïcité et devraient appeler de nouvelles réglementations pour cantonner à la seule sphère privée de tels comportements.
Ainsi, alors qu’elle sert de porte-étendard au régime français, la loi de 1905 ne mentionne pas une seule fois le mot « laïcité ». Elle pose toutefois les bases de ce régime, lequel repose sur deux piliers : neutralité de l’État à l’égard des religions et liberté religieuse pour les individus.
Or, par ce second aspect, comme le rappelle le juriste J. Rivero, l’État « se reconnaît l’obligation de rendre possible l’exercice des cultes ». Ainsi, pour reprendre les mots d’A. Briand, rapporteur de la loi, « l’État n’est pas irreligieux ou religieux, il est areligieux. »
C’est dans cette absence d’intervention de l’État dans le phénomène religieux, et dans l’absence d’intervention des religions dans les réalisations étatiques que se trouve la laïcité à la française.
D’autres lois sont venues compléter le régime français, notamment la loi de 2004 prohibant les signes religieux ostensibles à l’école et celle de 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public.
A cet ensemble de lois composites prises souvent dans la passion d’un débat s’ajoute une laïcité à la carte, variable dans ses effets selon le territoire considéré. L’Alsace-Moselle bénéficie encore du Concordat. La Guyane dépend toujours d’une Ordonnance royale de Charles X, proche du régime précédent. Quant à Mayotte, elle est couverte par des règles spécifiques prenant en compte le droit coutumier local. D’ailleurs, dans l’ensemble des départements et régions d’outre-mer, les préfets peuvent modifier les jours fériés établis sur les fêtes religieuses chrétiennes pour les remplacer par des jours plus appropriés.
Si la religion était, selon K. Marx, « l’opium du peuple », la laïcité a tout pour être le crack de nos élites.
Au nom de la laïcité, comme au nom de la religion autrefois, on invoque les mesures nécessaires à prendre pour assurer un « bon ordre ». Ainsi, la laïcité interdirait les repas de substitution à l’école, elle exigerait l’interdiction du voile à l’université, elle réclamerait l’opposition aux constructions des mosquées. Plus récemment, elle s’opposerait au port de certains vêtements dans l’espace public, comme la burka avant, le « burkini » aujourd’hui.
Ceux qui l’invoquent en ce sens s’étonnent ensuite qu’elle puisse leur être opposée à propos des crèches de Noël dans les bâtiments publics, à propos de l’octroi de noms de personnalités catholiques pour des lieux publics, à propos des subventions versées essentiellement à des églises au titre de la réserve parlementaire.
Pourtant, comme le relevait J. Rivero, « neutre et laïc, (l’État) ne saurait pratiquer la moindre discrimination à l’égard de tel ou tel mouvement religieux ».
Aujourd’hui, en France, semblent coexister deux laïcités : une laïcité ouverte à l’égard de l’histoire judéo-chrétienne et une laïcité fermée face à la présence de l’islam.
Or, la laïcité ne peut s’entendre différemment selon la religion, elle doit permettre à chacun de pratiquer sa religion dans le respect de nos lois. C’est à ce titre que l’article 1er de la loi de 1905 octroie à la République la mission d’assurer la liberté de conscience, tant qu’elle ne remet pas en cause l’organisation et le fonctionnement de ses services.
Comme le recommandait A. Briand aux juges, lorsqu’un doute subsiste quant à l’interprétation de cette loi, il faut privilégier l’interprétation la plus libérale à l’égard des religions. De tels propos ne devraient jamais manquer d’interpeller ceux qui se prévalent de l’esprit de 1905. Il en va pour les repas de substitution comme pour le reste : ce que la loi n’interdit pas, le bon sens devrait l’autoriser.
En 1989, dans un article retentissant dans Le Nouvel Obs, intitulé Êtes-vous démocrate ou républicain ?, R. Debray opposait deux schémas, la République qui égalise les religions par son indifférence, la démocratie qui les égalise par sa reconnaissance. C’est autour d’une voie médiane qu’il faut se diriger, celle qui permet de concilier l’idéal républicain de laïcité et l’apport démocratique de tolérance.
La laïcité à la française est confrontée à de nouveaux défis, qui exigent qu’elle soit modernisée sans être niée, adaptée sans être détruite. Au lieu d’être un sujet qui nous divise, elle doit devenir un élément qui nous rassemble. Cela nécessite au minimum d’avoir foi : foi en une laïcité ouverte et intégratrice.
Cet article a été publié sous forme de tribune dans le journal Le Monde (voir La laïcité doit être ouverte et intégratrice)
Sur ce thème : voir aussi Laïcité, religion et coexistence : un triangle d’incompatibilité ? et L’Europe dans le couple laïcité/religion
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