(Affiche – Varsovie, Pologne – 2013)
La construction européenne semble à l’arrêt depuis quelques temps. Ce blocage résulte pour beaucoup de l’amoncellement de nouveaux Etats membres (10 pour la seule année 2004), ralentissant considérablement le processus de décision. En effet, chaque Etat a ses intérêts et son calendrier, qui ne sont pas forcément compatibles avec ceux des autres Etats. Ainsi, la majorité qualifiée – seuil généralement nécessaire pour adopter un texte – devient de plus en plus difficile à obtenir.
Pour remédier à cet état, de plus en plus de responsables appellent à la mise en place d’un noyau dur d’Etats qui avanceraient plus vite pour construire l’Europe de demain.
Cette idée est loin d’être nouvelle.
Elle a d’ailleurs été formellement consacrée par le Traité d’Amsterdam avec le mécanisme des coopérations renforcées.
Trois seulement ont été lancées grâce à cet article (le divorce transfrontalier, le brevet unitaire et la taxe sur les transactions financières), et encore la dernière est toujours en cours de discussion, faute de consensus parmi les Etats intéressés.
Néanmoins, il existe d’autres coopérations, plus ou moins formelles. Parmi les plus connus, on retrouve l’Espace Schengen, la zone euro ou Airbus/Ariane.
Généralement, ces différents projets ont réuni quelques Etats à l’origine, sur lesquels se sont agrégés les Etats intéressés par son succès. Après tout, la construction européenne a commencé à six pour finir à vingt-huit vingt-sept.
Toutefois, le développement d’une Europe à géométrie variable comporte plusieurs risques qui invitent à nuancer l’apport d’une avant-garde dans l’intégration.
Tout d’abord, il convient de rappeler que chaque Etat cherche à répondre au mieux à ses intérêts. Ainsi, tous les Etats ne veulent pas avancer dans les mêmes directions sur le chemin de l’intégration. Par exemple, l’Allemagne souhaite renforcer les sanctions en cas de manquement aux règles budgétaires européennes, alors que la France et l’Italie sont davantage intéressés par la mise en place d’un Trésor européen. Certes, il reste possible de construire les avancées sur des solutions de compromis satisfaisantes pour un groupe d’Etats (la politique agricole commune pour la France contre la politique de concurrence pour l’Allemagne lors des négociations du Traité de Rome de 1957). Encore faut-il que tout le monde soit prêt à amender son projet initial.
Ensuite, une Europe composée de différentes strates d’intégration risque d’accentuer l’incompréhension des citoyens devant une Europe qu’ils perçoivent comme une entité toujours plus complexe. En effet, il devient de plus en plus difficile d’établir les pays qui appartiennent à chaque coopération. Ainsi, l’espace Schengen est composé de 22 Etats membres + 4 Etats tiers ; la zone euro de 19 Etats membres + quelques principautés + le Kosovo ; la coopération transfrontalière en matière de police (Traité de Prun) comprend 17 membres. Si l’expert a du mal à s’y retrouver, le profane est complètement perdu.
Ces différentes strates sont aussi susceptibles d’engendrer une confusion préjudiciable pour la sécurité juridique. Il est parfois difficile aujourd’hui de savoir pour certaines compétences si elles relèvent d’un exercice à 28 ou à moins selon les opt in (libre-choix pour intégrer une politique) et les opt out (exclusion d’une politique) des uns et des autres. Mention spéciale au Danemark, à l’Irlande et au Royaume-Uni qui cumulent les opt in et les opt out selon les sujets, engendrant de nombreuses sources de contentieux. Au choix souverain de l’Etat de rejoindre ou non une politique s’ajoute les questions de bases juridiques, qui ont une incidence sur la détermination des compétences entre l’Union et les Etats membres. Ainsi, certaines compétences du domaine pénal (traditionnellement réservé aux Etats) appartiennent au droit de l’Union, parce qu’elles découlent d’autres compétences propres à l’Union.
Par ailleurs, comment choisir les Etats qui participeraient à une coopération ? Faut-il choisir les Etats vraiment intéressés ? Faut-il faire des compromis pour atteindre un cercle plus large d’Etats ? Que faire des Etats qui ne seraient pas encore prêts économiquement mais qui désireraient participer ? Autant de questions pour l’heure sans réponse.
Enfin, de telles strates sont susceptibles de générer un désintérêt général pour le projet européen. Il est certes tentant d’imaginer un grand marché économique pour tous les Etats désireux de se limiter à cet aspect, et une union plus politique avec les Etats seulement intéressés. Néanmoins, les réalisations devraient aller de pair avec le projet. Les unes renforcent l’autre, qui les entraîne plus en avant. Découpler les deux risque d’inciter Etats et citoyens à déserter définitivement ce projet.
L’Europe ne peut être un self-service où chacun prendrait seulement ce qu’il veut et irait manger dans son coin. L’eurodéputé belge Guy Verhofstat soulignait justement que « nous avons besoin d’une Union européenne intégrée, pas d’une Europe à la carte, avec son funeste cortège d’exemptions, d’exceptions, de dérogations et autres rabais. Ces divisions sont mortifères pour l’Europe car elles tuent le sentiment d’unité. »
Bien qu’intéressante à première vue, le recours à une Europe à géométrie variable est porteuse de nombreux risques, et nécessiterait un examen attentif avant d’être approfondie.
PS : La Commission a présenté le 1er mars 2017 ses scénarios pour l’avenir de l’Europe, et notamment un scénario 3 d’Europe à la carte (Les 27 en quête d’un cap)
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