(Echassier européen – EuropaPark – 2013)
En France, le souverainisme, notamment face à l’Union européenne, a toujours eu de nombreux partisans, tant à gauche qu’à droite. La plupart d’entre eux se retrouve sur leur commune référence à la personne du général de Gaulle ou au gaullisme pour justifier – rationaliser – leur position de quitter l’Union européenne.
Aujourd’hui au panthéon des figures nationales, Charles de Gaulle fait souvent figure de repoussoir pour les proeuropéens.
Ainsi, outre ses nombreuses conférences de presse très critiques – voire caricaturales – sur la construction européenne, il a provoqué l’une des crises les plus profondes de la jeune Europe, en pratiquant la politique de la « chaise vide » en 1965. En l’occurrence, suite à la proposition de la Commission de modifier la Politique Agricole Commune, il a décidé que les ministres français ne participeraient plus aux réunions, paralysant le processus institutionnel durant plusieurs mois.
Pourtant, il serait faux de considérer Charles de Gaulle comme un anti-européen notoire. La réalité est plus complexe.
Tout d’abord, la France gaullienne n’a jamais décidé d’abandonner ou de ralentir la construction européenne. Or, arrivé au pouvoir en 1958, de Gaulle aurait pu porter un coup d’arrêt à la Communauté européenne économique née un an plus tôt. Il n’en a rien fait. Au contraire, les objectifs prévus par le Traité ont été atteints avec une année d’avance. A l’inverse, au cours de cette période, il n’a pas hésité à quitter le commandement intégré de l’OTAN en 1966.
Au demeurant, la mise à mort organisée de la Communauté européenne de défense en 1954 doit davantage à des considérations de politique interne, coalisant contre elle une majorité parlementaire hétéroclite de gaullistes et de communistes, plutôt qu’à une opposition à l’Europe. Cet échec s’est d’ailleurs soldé par une défaite bien plus amère pour les contempteurs du projet. En effet, cette Communauté prévoyait rien de moins qu’une armée commune à l’ensemble des six Etats membres, ce qui voulait dire réarmer des soldats d’origine allemande. Or, ce refus, loin d’empêcher un corps d’armée allemand au sein d’une armée européenne, a engendré la création d’une armée allemande autonome, voulue par les Etats-Unis pour lutter plus efficacement contre l’URSS.
Autre fait marquant et pourtant méconnu ; au moment de la guerre en 1940 face à l’Allemagne nazie, et alors que la débâcle s’annonçait, Charles de Gaulle avait approuvé un projet d’union franco-anglaise qui allait bien plus loin que tous les traités européens aujourd’hui en vigueur. Ce projet mettait en place rien de moins qu’un même Parlement pour la France et le Royaume-Uni. Certes, le remplacement de Paul Reynaud par Philippe Pétain a mis fin à ce projet. Mais, il n’en demeure pas moins que Charles de Gaulle avait consenti à des abandons immenses de souveraineté.
Pourquoi ?
Parce que la pensée gaullienne a un mantra. Il n’y a de politique étrangère que fondée sur des réalités.
La réalité de 1940, c’était la guerre, la défaite, l’asservissement potentiel. A cela, il était prêt à répondre par une quasi-fusion de deux pays comme possible solution.
La réalité de 1958, c’était la crise, la reconstruction, la faillite potentielle. Face à cela, il était prêt à accepter une construction européenne comme possible solution.
La réalité d’aujourd’hui, ce sont des puissances émergentes, une crise durable, une disparition de l’Histoire. Face à tout cela, qu’aurait-il fait ? Nul ne peut le dire avec certitude. Ne nous approprions pas dans le sens qui sied à nos vues la pensée du général de Gaulle. Mais, il est fort possible qu’il ne serait pas opposé à cette construction, comme tout le monde le lui prête aujourd’hui.
Malgré les nombreuses divergences, les éventuelles incompréhensions et les régulières tensions, il avait su construire avec Winston Churchill une alliance basée sur des intérêts communs, un profond respect mutuel et une vision politique, trois éléments qui semblent manquer cruellement aujourd’hui à la construction européenne.
A quand un nouvel appel ? Un appel en réponse au Brexit qui s’annonce. Un appel qui ranimerait la conviction que « quoiqu’il arrive, la flamme (de la construction européenne) ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas »…
Sur ce thème, voir Election présidentielle 2017 : tous gaullistes ? et La droite et l’Europe : une question de souveraineté ?
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Dans votre analyse, vous ne prenez pas en compte le vote des Gaullistes associés pour l’occasion aux Communistes, en 1954, pour empêcher la réalisation de la communauté européenne de défense (CED).
Bien sûr, vous pourriez rétorquer que le gaullisme ce n’est pas de Gaulle.
L’histoire des cinquante dernières années confirme que les Gaullistes ne sont qu’une variante de parti qui n’arrive pas à construire un projet autre que la conservation de l’existant. C’est l’essence de ce type de groupes qui ne visent que la gestion courante à travers la prise de pouvoir. D’où une dérive quasi automatique vers la corruption institutionnelle.
Les défis actuels, population, évolution climatique, irruption de l’information, appellent à une nouvelle organisation sociale.
Cela implique de reprendre le projet au niveau de la dernière consultation réelle de la population.
Cette dernière a eu lieu vers mars 1789, selon moi, à travers les « cahiers de doléances ». Les revendications de la population aujourd’hui sont pareilles. 227 années perdues?
Pas tout à fait, car nous avons conservé les archives et nous pourrions nous appuyer dessus pour reprendre les fondations de l’édifice.
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Vous écrivez « Charles de Gaulle fait souvent figure de repoussoir pour les pro-européens »…affirmation totalement erronée ! Juppé, Macron et beaucoup d’autres pro-européens se réclament au contraire de lui. Par ailleurs, vous semblez oublier que la souveraineté est une condition sine qua non de la démocratie et est inscrite dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Le but de l’Europe n’est pas de tuer la souveraineté et donc la démocratie, ou alors nous courons tout droit à un super état totalitaire à l’échelle continentale. Donc la vraie question n’est pas celle-là mais « quelle Europe voulons-nous ? » Une Europe de régression sociale et antidémocratique dirigée par l’Allemagne (c’est-à-dire le pays responsable de toutes les plus grande catastrophes que nous ayons connues), ou bien une Europe démocratique, sociale, progressiste et solidaire où la France retrouverait la place qui est la sienne ? Le vrai débat est là.
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Il ne me semble pas que les personnes que vous citez se réfèrent à Charles de Gaulle dans l’organisation de la politique étrangère de la France Election présidentielle 2017 : tous gaulliste ?.
Sur la souveraineté, je ne crois pas à la souveraineté une et indivisible telle que théorisée par Jean Bodin au XVIIe siècle. Aujourd’hui, la souveraineté me semble davantage partagée (cf La Suisse ou l’illusion de la souveraineté )
Votre opposition entre une Europe « allemande » (sic) et une Europe « française » n’a pas vraiment pas lieu d’être et tient visiblement plus de la théorisation extrême que d’une quelconque réalité tangible. Il est certes nécessaire qu’aucun pays ne se retrouve à devoir assumer une hégémonie, même non-voulue. Mais, tout ne reposera pas sur la France sur cette question.
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Eh bien si justement, Macron et Juppé citent de Gaulle comme référence parce qu’il a su incarner l’indépendance de la France en matière de politique étrangère, en refusant l’attitude moutonnière qui consiste à s’aligner sur les USA, la Russie ou n’importe quelle autre puissance ayant des visées hégémoniques. Quant à mon opposition entre une Europe allemande et une Europe française, elle repose au contraire sur des faits tangibles dont certains remontent au 19ème siècle. Sur les dangers du nationalisme et de l’expansionnisme allemand, Heine et Nietzsche avaient d’ailleurs tenté de mettre en garde l’Europe : les faits leur ont donné plus que raison. Et même si la situation est aujourd’hui très différente, je vous le concède, il est indéniable que l’arrivée au pouvoir de Merkel (au demeurant grande admiratrice du sinistre Wagner) a marqué le retour d’une Allemagne décomplexée, arrogante et parfois xénophobe, comme en témoigne notamment la crise grecque.
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