La décision de la Cour suprême américaine de rendre obligatoire le mariage entre personnes de même sexe fêtera bientôt sa première bougie ; celle du Conseil constitutionnel du 17 mai 2013 sur la loi ouvrant le mariage pour tous atteint le cap des trois ans. Il s’agit là de deux décisions sur un même sujet, mais de deux décisions bien différentes quant à l’intervention du juge dans les sujets de société.
En effet, le Conseil constitutionnel occupe une place particulière dans le paysage constitutionnel mondial, position parfaitement illustrée par la décision précitée. Il est, de jurisprudence constante – depuis une décision de 1975 sur la loi autorisant l’IVG -, que le Parlement bénéficie d’une certaine marge d’appréciation et un domaine de compétence réservé dans le cadre des sujets sociétaux.
Or, ce traitement en retrait par le Conseil constitutionnel se démarque du rôle déterminant joué par de nombreuses cours constitutionnelles dans les sujets de société. Pour donner quelques exemples, les cours constitutionnelles d’Afrique du Sud, du Canada, du Brésil, du Portugal, ou plus récemment de la Colombie, ainsi que la Cour suprême dans sa décision majeure précitée, ont grandement contribué à l’instauration ou au maintien de dispositions favorables à l’ouverture du mariage aux couples homosexuels.
Pourquoi une telle différence de traitement sur ce sujet entre les juges ? Comment expliquer la retenue des uns et la prise de position des autres ?
A priori, ce traitement différencié pourrait résulter d’une apparente diversité des constitutions. A cet égard, l’interdiction expresse par certaines d’entre elles, de toute discrimination en fonction de l’orientation sexuelle a sans nul doute joué un rôle dans l’appréciation par ces juges. Néanmoins, le Conseil constitutionnel dispose, par l’intermédiaire de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (notamment le principe d’égalité), de principes aisément transposables au mariage. L’hypothèse d’un manque d’instruments doit être écartée.
En réalité, il semble qu’il faille davantage considérer la tradition légicentriste de la France, et de la conception française de la séparation des pouvoirs. En effet, éloignée tant des régimes qui – par leur histoire ou par leurs habitudes – voient dans la règle une atteinte à la liberté, que des régimes qui privilégient un équilibre des pouvoirs, la France se situe à un carrefour bien singulier.
Inspiré par Jean-Jacques Rousseau et notamment son oeuvre majeure Le contrat social, la loi, en France, est l’expression de la volonté générale, volonté qu’il est difficile d’écarter puisque dans la conception rousseausiste, la volonté générale est infaillible. Si minorité il y a, c’est parce que cette dernière est momentanément dans l’erreur.
Au demeurant, le Conseil constitutionnel semble encore marqué par l’interprétation de la séparation des pouvoirs, ce qui ne peut que susciter de sa part une certaine réticence à s’immiscer dans le domaine du législateur.
A ces réticences premières, il faut ajouter la crainte des critiques, et notamment celle relative au « gouvernement des juges ». A cet égard, ce retrait permanent du juge constitutionnel français renvoie aussi certainement à la question récurrente de sa légitimité. Certes, depuis 1971 et sa fameuse décision Liberté d’association, le Conseil constitutionnel a eu le temps de s’inscrire dans le paysage juridique français. Néanmoins, ce serait oublié que d’une part, son existence même a été fortement remise en cause en 1993 et qu’il ne bénéficie d’une place privilégiée pour les citoyens en tant que justiciables que depuis 2010 avec la mise en œuvre des premières questions prioritaires de constitutionnalité.
Pourtant, lorsqu’il s’agit, comme le relevait la garde des Sceaux Christiane Taubira lors du débat sur la loi sur le mariage pour tous, de « poser des mots sur des situations ou des comportements », le Parlement est-il vraiment le seul à être compétent ? Le juge constitutionnel peut-il encore se dessaisir complétement de ces questions ?
Alors que les autres cours internationales s’engagent sur ce terrain, le juge français doit réfléchir à une manière de mieux s’impliquer.
Sur ce thème, voir aussi La justice dans la séparation des pouvoirs
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