Brexit : une bonne chose pour l’Europe ?

p1020651(Fanfare, Londres, 2013)

        (Version anglaise disponible ici)

Comme devant un mauvais feuilleton dont on souhaite que les péripéties s’abrègent afin de connaître le dénouement, l’Union européenne attend lassée la réponse des Britanniques au référendum sur le Brexit, prévu le 23 juin 2016.

La possibilité du départ des Britanniques a engendré depuis 2014 une série de réactions de la part du monde politique et médiatique, essentiellement pour s’alarmer des conséquences de cette possible séparation (notamment ici).

A cet égard, les autres États membres et les institutions apparaissent si tétanisés par cette perspective qu’ils ont été incapables de s’opposer aux demandes parfois grotesques de David Cameron. Le plus à craindre ici, est qu’un rejet du référendum aboutisse à de nouvelles exemptions demandées par le Royaume-Uni dans le cadre d’une nouvelle consultation populaire.

Si David Cameron veut jouer à la roulette russe, il convient de s’assurer que le pistolet soit dirigé sur son pays, et non sur l’Union européenne. Après tout, dans certains mariages désastreux, le divorce à l’amiable est la meilleure des solutions, pour les deux partis.

Il ne s’agit pas tant ici de savoir si un tel divorce pourrait être favorable au Royaume-Uni, mais s’il pourrait être avantageux pour l’Union européenne.

Évidemment, ce serait un choc.

Choc psychologique d’abord. Pour la première fois, un pays dans son ensemble quitterait la construction européenne. Jusqu’alors, seuls quelques territoires (Algérie, Groenland) ont fait sécession, pour des raisons de politiques intérieures. Il s’agirait d’une indéniable atteinte à la perspective prévue par les traités d’une « union sans cesse plus étroite entre les peuples européens ». Mais, puisque dans le projet de référendum, cette référence disparaît, il faut croire que l’atteinte serait plus minime. Au demeurant, le Traité de Lisbonne, en prévoyant la possibilité d’une sortie d’un Etat membre, avait consacré la fin du mythe d’une construction en perpétuelle progression.

Choc économique ensuite. Et ici, on laisse libre cours à la spéculation. Personne ne peut chiffrer avec certitude le coût pour l’Union européenne et pour le Royaume-Uni d’une sortie de ce dernier. Toutefois, l’opinion majoritaire se prononce en faveur d’une récession au Royaume-Uni, et d’un coût relatif pour l’Union européenne, coût qui pourrait cependant être amorti si les nombreuses entreprises actuellement au Royaume-Uni le quittaient pour rejoindre un pays du marché intérieur – à condition évidemment que le statut du Royaume-Uni hors UE soit moins avantageux que la situation actuelle.

Choc politique enfin. Certains s’alarment du risque d’une contagion des référendums dans les autres pays où des voix sécessionnistes s’élèvent. Outre qu’il est pour l’heure incertain que d’autres mouvements d’importance réclament formellement de tels référendums (mis à part le Front National en France), il est à parier que si jamais le Royaume-Uni devait connaître une récession, même temporaire, en raison d’une sortie de l’Union européenne, cette perspective serait écartée par les autres mouvements. Ainsi, le départ d’un État membre pourrait s’avérer un plus pour la cohésion de l’ensemble.

Après tout, les Britanniques ne voulaient pas de l’euro, ils ne l’ont pas eu. Ils ne voulaient pas de Schengen, ils ne l’ont pas eu. Ils ne voulaient pas de coopération pénale, ils ne l’ont pas eu non plus. Par contre, ils voulaient une Europe à la carte, des élargissements et une ristourne sur le financement de l’Union. Ils ont tout obtenu. Cette Europe là, celle maintes fois rejetée, est d’abord leur créature.

Pour rappel, les Britanniques ne voulaient pas de la Communauté à l’original. Projet trop audacieux pour eux, ils avaient même formé, avec quelques autres pays, une Association concurrente. Celle-ci fut un tel succès qu’ils l’abandonnèrent bien vite pour rejoindre celle qu’ils avaient au départ dédaignée. Plutôt dedans pour la freiner, que dehors pour la subir, était alors le credo de cette adhésion.

Voilà désormais qu’une partie des Britanniques voudraient s’essayer à l’aventure solitaire ; le grand large serait leur nouvel horizon. Bon vent, alors ! Si leur échappée se transforme en naufrage , elle servira au moins de catalyseur général.

Une sortie du Royaume-Uni permettrait de remettre à plat non seulement nos relations avec ce pays, mais aussi avec les autres pays européens qui bénéficient de certains avantages sans participer formellement à l’Union européenne, comme la Norvège ou la Suisse. Bien sûr, ces pays appliquent une bonne partie de la réglementation et financent la construction européenne sans véritable voix au chapitre. Mais, on ne devrait pas se satisfaire d’une construction au rabais. L’Union européenne mérite mieux que ça (voir Suisse et Union européenne : l’illusion de la souveraineté).

Appliquons une bonne fois la loi du tout, ou du rien. Aux peuples européens de voir enfin les coûts d’une aventure en solo. C’est peut-être le meilleur moyen d’arriver au concert européen.

Il ne faut pas se méprendre : l’Europe n’est pas forte parce qu’elle est nombreuse, elle est avant tout forte parce qu’elle est unie.


Sur le Brexit, de nombreux articles sont disponibles. Dernier état des lieux pour le départ effectif  du Royaume-Uni :

¤ Le Brexit, c’est maintenant ? : le départ du Royaume-Uni au soir du 31 janvier 2020 ne signifie pas forcément le début du Brexit.

¤ Les Britanniques sur le départ, les Européens au travail ? : avec le Brexit, l’heure est venue pour les Européens de travailler

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19 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Vianney dit :

    Bonjour,

    Très bon article. Je partage votre point de vue que le pire n’est pas certain et qu’ une sortie du UK pourrait ne pas être aussi catastrophique qu’on nous le prédit.
    En revanche, je ne suis pas d’accord avec votre suggestion du tout ou rien. Je ne vois pas de problème dans le fait que certains pays veuillent une participation réduite, pour autant que l’accord soit équilibré.
    Je suis profondément Européen et je regrette comme vous que nos liens ne soient pas plus fort. La solution selon moi n’est pas d’empêcher ceux qui le souhaitent d’avoir moins d’Europe, mais serait de se mettre d’accord avec ceux qui souhaitent plus d’Europe pour créer une entité plus intégrée. Les membres fondateurs seraient selon moi un bon groupe … qui aurait une puissance quasi incomparable…

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    1. Clarence Mollusque dit :

      Bonjour,
      Tout d’abord, merci pour votre commentaire qui est le premier sur ce jeune blog.
      Ensuite, je suis assez partagé sur la coexistence de différents niveaux d’intégration. Elle est susceptible de comporter 3 risques importants :
      – un éloignement des citoyens devant une Europe qu’ils perçoivent comme une entité toujours plus complexe ;
      – une confusion entre les différents niveaux d’intégration. Il est parfois difficile aujourd’hui de savoir pour certaines compétences si elles relèvent d’un exercice à 28 ou à moins selon les opt in et opt out des uns et des autres.
      – un désintérêt général pour le projet européen. Les réalisations devraient aller de pair qu’avec le projet. Les unes renforcent l’autre, qui les entraîne plus en avant. Découpler les deux risque d’inciter Etats et citoyens à déserter définitivement ce projet.

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  2. Marc B dit :

    Si certaines previsions sont assez alarmistes, votre article au contraire semble un peu trop optimiste quant aux repercussions.
    Il est vrai que l’on entrera en terre inconnue et le meilleur comme le pire peut arrive. Mais il est aussi possible de prevoir certains grands changements. D’une part les marches prendont actes que l’union est un simple club de pays et que l’on y entre et sort comme dans un moulin, ce qui aura une influence sur les taux d’interets, les investissements et les strategies de localisation. Le RU est la porte d’entree (et de sortie) pour de nombreux pays, on perd un intermediaire privilegie avec les USA et les pays du commonwealth (ca fait presque 2 milliards de personnes). Les places financieres europeennes et britanniques entreront en competition et au lieu d’en avoir 1 ou 2 de niveau mondiale on en aura plusieurs ne depassant pas le niveau regional. Je m’arrete la mais on pourrait encore enumerer les consequences negatives.

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    1. Clarence Mollusque dit :

      Bonjour,
      Il est vrai qu’en l’état actuel des choses, toute réflexion sur cette question est limitée en raison du trop grand nombre d’inconnus.
      Les conséquences économiques pourraient être bien plus dures pour le Royaume-Uni et favoriser a contrario les Etats membres de l’Union européenne. Ainsi, pour reprendre votre exemple des places financières, au lieu d’avoir une seule bourse hors zone euro (la City), celle-ci pourrait peut-être posséder enfin une bourse d’importance (Berlin ou Paris).
      Par ailleurs, il me semble que le poids de l’Union européenne hors Royaume-Uni reste suffisamment conséquent pour continuer à être un acteur incontournable des relations internationales.
      De toute façon, avec l’Union européenne, il vaut mieux être toujours optimiste.

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      1. Marc B dit :

        Les consequences financieres positives pour l’UE ce serait dans l’hypothese qu’il y ait un transfert assez important entre les activites au RU et l’UE, ce qui n’est pas aussi mathematique. Le RU a un acces privilegie avec le common wealth et bcp investissent en Europe via le RU et ne le feraient pas ou sinon. Une forte probabilite que ceux-ci se tournent vers New-York et Singapour.

        On pourrait aussi analyser ce qu’a dit P. Lamy (selon un article du monde), le RU, c’est 15% de l’economie de l’UE mais aussi 30% de la diplomatie et 40% de la defense. l’UE n’est malheureusement pas une entite assez forte pour etre comme vous dites un acteur incontournable, elle depend uniquement du poids de ses membres.

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      2. Clarence Mollusque dit :

        Tout à fait d’accord sur le poids de la diplomatie et de la défense du Royaume-Uni. Néanmoins, c’est ce dernier qui s’est toujours opposé à toute avancée européenne sur ces questions. A voir donc si même avec moins de moyens, on n’ira pas finalement plus loin.

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  3. Newland_Archer dit :

    Un risque supplémentaire est également lié au fait que le RU s’oppose ou à tout le moins exige un droit de regard sur toute nouvelle intégration des autres membres quand bien même il n’y participerait pas. Et l’accord pré-référendum semble d’ailleurs sanctuariser la forme actuelle du Parlement européen, composé notamment de députés issus d’États non membres de la zone euro (au premier rang desquels le RU) qui votent sur l’ensemble des compétences du Parlement, y compris celles qui ne concernent pas leur pays. Cette architecture institutionnelle n’est plus soutenable. Soit on institue la règle du tout ou rien. Soit on fait coexister deux niveaux différents d’intégration (pas plus) et il faut dédoubler les institutions et doter la zone euro d’institutions véritablement fédérales.

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  4. Richard NOWAK dit :

    Patience!
    En fin de semaine nous serons édifiés sur un point : la position des électeurs participant à la consultation.
    Nous saurons si la manœuvre pour garder le contrôle du parti tory a réussi. En cas de succès du « remain », Cameron renforcera son leadership.
    Pour le reste, l’asymétrie « informative » actuelle(attendons le vote et le résultat) ne permet pas autre chose que des élucubrations. Le concept fumeux de supranationalité inventé par l’Union des 28, pour masquer l’opposition structurelle des état-nations, a fait long feu. Le rêve d’Union des tous les européens s’évanouira-t-il, submergé par la vague de repli sur soi?

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